Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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SOUS LE CONSULAT. 199

A cette représentation, j'ai fait par hasard la connaissance d’un officier dont la conversation m'a diverti. Nous nous étions rencontrés au bureau de location et nous nous sommes installés dans la même loge. Ses discours, qui coulaient de source, m'ont bientôt laissé comprendre qu'il connait assez bien l’Allemagne, Berlin et nombre de personnages de notre cour. Il m’a aussi beaucoup parlé du général Moreau. Entres autres anecdotes sur son compte, il m'a narré les incidents d’une grande chasse à laquelle il assistait avec Moreau, Lecourbe et d’autres généraux ayant leurs propriétés aux environs de Paris.

Les dames y ont pris part en costume d’amazones chasseresses; chacune d’elles a reçu de son cavalier le pied d’un gros gibier abattu par lui et l’a porté à son corsage en guise de bouquet pendant la journée. Un détail de sa narration m'a fait juger de la simplicité et du sans-gêne qui règnent dans l’entourage de Moreau. Le général s'était trouvé en retard pour le dîner qui suivit la chasse ; on s'était mis à table sans lui, et l’on en était au second service quand il entra. Lecourbe se lève et demande gravement la permission de prononcer un toast. Moreau, toujours réservé, semblait interloqué de cette démonstration solennelle, lorsque Lecourbe, sans se dérider et sans attendre, porte la santé : Au commandant du régiment des dragons en retard! Vous jugez de l’hilarité des convives, y compris Moreau.

Dans le moment où Lecourbe passait ainsi son temps en joyeuses parties de chasse, on faisait courir à Paris le bruit qu'il avait été assassiné par ses fermiers, vis-à-vis desquels il se serait montré fort dur. C’est Lecourbe dont on raconte que, voyant un régiment hésiter à exécuter ses ordres, il avait saisi un des plus mutins, l'avait abattu