Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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d’un coup de sabre et rappelé ses hommes à la discipline par ce coup de vigueur.

J’ai quitté mon loquace compagnon sans qu'il m’eût dit son nom et sans qu'il m’eût demandé le mien. Des gens de ma connaissance, qui nous avaient aperçus dans la loge, m'ont assuré que c’est un des adjudants de Moreau. Dans tous les cas, il ne ressemble guère à son chef.

J'avais hâte de sortir du théâtre, afin d’aller entendre un quatuor organisé à mon intention par Rode, dans une réunion privée. Le quatuor a été exécuté dans un salon où je me suis trouvé tout à fait reporté au genre et aux manières qui régnaient dans la société parisienne, il y a dix-huit ans : même élégance de bon ton, même passion et même intelligence de musique. Rode a joué un de ces quatuors de Mozart, d’une exécution si difficile, avec une netteté, une précision, un sentiment et une bravura qui m'ont transporté; je n’ai rien entendu de plus parfait! En le félicitant, j'ai vainement essayé de le détourner de son voyage à Pétersbourg ; ses engagements sont pris. Il va rester perdu pour Paris pendant plusieurs années, et je crains que la délicate santé du virtuose ne résiste difficilement à cette expatriation lointaine (1).

Une de mes dernières soirées a été consacrée à ce que l’on appelle le grand monde. Le banquier Tourton, dont je ne saurais trop reconnaître l’obligeance, m'a présenté chez Mme Tallien, — plutôt maintenant chez Mme Cabarrus (2).

(4) Rode ne revint en France qu'à la fin de 1808. Sa santé ne parut pas ébranlée, mais la verve et l'éclat de son exécution avaient diminué. L'artiste, froissé de n'être plus applaudi avec la même chaleur, cessa de paraître en public. En 1828 seulement, l'envie lui revint de se faire entendre de nouveau à Paris; l'essai fut une déception pour l'auditoire et une amère désillusion pour Rode. Sa santé s’altéra, et il s’éteignit, en 1830, des suites d’une paralysie générale.

de ” (2) Mme Tallien avait repris son nom de famille, à la suite de son divorce, qui datait du 8 août 1802. La séparation avait été pronon-