Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 201

C’est une belle, grande et opulente personne à qui l’on ne donnerait pas son âge, plus voisin de la quarantaine que de la trentaine. Une petite tête aux contours délicats la fait paraître encore plus grande et plus forte qu’elle n’est en réalité. Sa physionomie porte l'empreinte de cette bienveillance active dont tant de gens ont eu des preuves pendant les terribles phases de la Révolution. Ses manières ont un naturel et un abandon qui la rendent tout à fait sympathique et séduisante. Lorsque, dans le courant de la soirée, elle s’est mise à genoux, joignant ses belles mains, devant une petite Francaise pour la supplier de chanter une romance, et qu’elle est restée dans la même attitude, ses yeux grands ouverts fixés sur la cantatrice, ses lèvres frémissantes paraissant répéter la mélodie, elle eût été à peindre.

Parmi les invités se trouvait un Espagnol qui a chanté en s’accompagnant de la guitare. Mme Cabarrus nous dit qu'elle n’aimait rien tant que « ces romances de sa chère patrie », et elle fit observer qu’en Espagne ces chants accompagnent toujours une danse. Et, en effet, pendant que le guitariste préludait, les petits pieds de Mme Cabarrus s’agitaient comme dans l’attente du signal d’un boléro. Du reste, elle n’a ni dansé ni même touché à la belle harpe posée dans un coin du salon. Elle s’est exclusivement consacrée à recevoir, à placer et à entretenir les dames, Anglaises en grande majorité, qui venaient à son assemblée. Elle s’asseyait tantôt auprès de l’une, tantôt auprès d’une autre, toujours en mouvement, encée, après le retour d'Égypte imposé au fameux thermidorien par le général Menou. Le rôle de Tallien en Orient et à Londres, où le débarqua un croiseur anglais qui l'avait pris dans la traversée, avait été assez louche. Talleyrand et Fouché obtinrent pour lui

place de consul à Alicante, octroyée d'assez mauvaise grâge Bonaparte.