Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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traînant à sa suite un groupe de cavaliers empressés.

Pour les hommes, il y avait une quantité de tables de jeu ; la maîtresse de la maison présentait elle-même les cartes. Elle voltigeait au milieu des parties engagées, hasardant cinq ou six louis sur une carte, s’attardant parfois à parier, mais tout cela en passant. Quant aux Anglais, ils n’ont pas bougé des tapis verts sur lesquels Por s’amoncelait; les jeux de hasard faisaient fureur.

Mme Cabarrus a fini par recruter quatre couples qui ont dansé une « française » au son d’un unique violon faisant un bien maigre accompagnement. Sa fille (1), gentille enfant d’une dizaine d'années, ressemblant fort à sa mère, a dansé avec infiniment de grâce une des françaises, à la joie de sa mère, qui en avait les larmes aux yeux, et des assistants charmés de ces ébats mignons. Les façons de la mère et de la fille l’une à l'égard de l’autre indiquent des natures aimantes.

La belle divorcée a, dit-on, un attachement pour un homme (2) qui a fait une grosse fortune et tient un grand état de maison à Paris; il n’a pas paru à la soirée.

Cette réunion, où dominaient les Anglais, et pendant laquelle Mme Cabarrus, allant et venant sans cesse, ne pouvait suivre une conversation, a fini par me sembler un peu longue.

Sans mon introducteur, qui ne trouve jamais les nuits trop longues, je me serais retiré; mais comme il m'avait amené dans sa voiture et que l'hôtel de Mme Cabarrus est situé assez loin, au delà des Invalides (3), j'ai dû patienter. et, en fin de compte, Tourton et moi nous sommes restés

(4) Sans doute l’ainée de ses filles, Thermidor-Rose-Thérésia, qui est devenue comtesse de Narbonne-Pelet. Elle n'avait pas dix ans.

(2) On nommait Ouvrard, le fameux fournisseur, alors en pleine prospérité financière.

(3) Rue de Babylone.