Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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roulés autour de sa tête jusqu’au front d’une part, jusqu’à la nuque de l’autre; des cordons de perles fines s’entremélaient aux tresses. Sa robe était en satin blanc et couverte de belles dentelles.

Pendant l'assemblée, quelques hommes à la mode, qui pour un empire ne manqueraient pas une « première », nous ont fait le récit de la chute d’une nouvelle tragédie de Lemercier. La présence de sa protectrice (1), Mme Bonaparte, que le Premier Consul avait accompagnée cette fois, n’a pu empêcher la catastrophe. Le public n’a laissé jouer la pièce que jusqu’au troisième acte. A ce moment, l’auteur lui-même a arraché le manuscrit des mains du souffleur (2). Cette tragédie s’appelle Zsule et Orovèse ; d’après ce que l’on a pu en juger au milieu du tapage, elle ne vaut pas grand’chose. Les journaux de ce matin citent des fragments bizarres; j'y trouve des vers comme ceux-ci, débités par Clodoer, prince gaulois :

Le Nord et le Midi roulent les flots errans De peuples tour à tour conquis et conquérans (3).

(4) Ce n’est pas seulement Joséphine, mais Bonaparte lui-même qui protégeait alors Lemercier. Leur amitié datait de 1795, et les plaisants s'étaient fort moqués alors des deux intimes, Méléagre et Vendémiaire ! Ce n’est qu'en 1804 que l'irascible poète se prit, contre Napoléon, pour une cause futile, d’une haïne qui tourna à la monomanie. |

(2) Dans un avis préalable, Lemercier, qui dédie sa pièce à Joséphine, confirme le fait et s’en vante, en homme décidé à ne pas sacrifier la versification baroque et ampoulée qui avait gâté de fortes situations dramatiques.

Les beautés de premier ordre et les bizarreries ridicules se sont toujours heurtées dans le cerveau de ce singulier tragique, un causeur délicat et recherché, quand il quittait le cothurne.

(3) Geoffroy a consacré un article assez vif à cette tragédie, le 4 janvier 1803, dans le Journal des Débats. Nous en extrayons les lignes suivantes :

« Clodoer, mauvaise copie de Tancrède, après avoir sauvé son ingrate patrie, refuse de se faire connaître. Mais quand ce nouveau