Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

XVI

Paris, 28 décembre 1802.

Depuis huit jours, on ne lit, on ne commente que Delphine, roman de Mme de Staël qui vient de paraître. Les gazettes en sont remplies, ou plutôt, c’est la personnalité de Mme de Staël qui les occupe, car je ne crois pas que beaucoup de ces critiques bruyants aient pris la peine de lire les six livres du volume. Les écrits précédents de Mme de Staël, sa vie, ses projets et espérances avortés, ses projets et espérances d'avenir, ses partisans et ses contradicteurs, tout est examiné, discuté avec une Vivacité, une passion, une malice incroyables, non-seulement dans les journaux, mais dans les réunions particulières et dans une foule de billets qui courent sous le manteau. Les gens qui s’abstiennent de critiquer ou d’outrager l’auteur se plaisent à ridiculiser son livre. Rœderer s’est livré à des railleries un peu lourdes dans son Journal de Paris : « Savez-vous pourquoi il n’y avait personne avanthier ni hier aux spectacles; pourquoi, aujourd’hui dimanche, il ÿ aura très peu de monde à la messe: pourquoi les fiacres se plaignent de n’avoirrien àfaire depuis deux jours; pourquoi presque toutes les voitures sont restées sous la remise ; pourquoi enfin il y a moins, sensiblement moins, de mouvement à Paris, depuis dimanche? C’est que tout