Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

UN HIVER A PARIS SOUS LE CONSULAT. 207

Paris s’est renfermé pour lire le nouveau roman de Mme de Staël-Holstein. La préface a seule exigé trois jours d’attention et d'étude. Le reste est plus coulant. Dans quelques jours on ne parlera, on n’écrira, on ne lira que sur et contre le livre de Mme de Staël-Holstein. » Peu de jours après cette sortie, — qu'il ne faudrait pas prendre trop au sérieux, car je ne m'aperçois pas que les salles de spectacle soient tellement désertées, le Journal de Paris publiait, dans son numéro du 23 décembre, un long article sur Delphine, signé Villeterque (1). C’est un adversaire intransigeant. Il débute par reconnaitre que le roman a «un succès de situation », dû sans doute au bruit qu'ont fait « dans un tout autre genre » les œuvres précédentes de Mme de Staël. « Quel ne serait pas, dit Villeterque, l’empressement avec lequel on se jetterait sur un recueil d’élégies de Mirabeau, d’idylles du comte Alfiéri, des vers anacréontiques de Thomas Payne ! » C’est le même genre de curiosité qui est excité par un roman de Mme de Staël. Et, rappelant à ce propos les œuvres politiques et métaphysiques de l’écrivain, le critique prétend qu'avant de les écrire Mme de Staël a dû boire quelques gorgées de l’eau de Castalie, mélangée à une infusion de laurier, afin de se mettre dans l’état de transport de la Pythie de Delphes proclamant Lycurgue un dieu. Plaisanterie à l'adresse de l'enthousiasme filial et débordant de Mme de Staël pour Necker. Tout l’article de Villeterque est du reste un persiflage du roman et de l'auteur, qu'il compare à une de ces personnes prônant les principes et la morale, sans les respecter elles-mêmes. (1) Alexandre de Villeterque, officier démissionnaire en 1791, était un des principaux collaborateurs du Journal des Arts et du Journal de Paris. Moraliste de bon sens, il a toujours soutenu que le

bonheur réside dans l’accomplissement des devoirs fondés sur le véritable amour de soi, bien différent de l’aveugle intérêt personnel.