Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 209

pas venir à Paris; je serai obligé de la faire reconduire à la frontière par la gendarmerie. » Ces personnes bien informées nous apprennent aussi que le Premier Consul aurait vivement reproché à la police son impuissance à empêcher l’affreux livre de pénétrer en France : — qu’il aurait même invité les Envoyés allemands à écrire à leurs Cours, afin que la vente de l'ouvrage fût interdite (1). Il est dans l’ordre que ces épîtres féminines qualifient le Premier Consul Restaurateur de la religion, Sauveur de la France, et qu'elles ne se bornent pas à dénier toute valeur littéraire au roman, mais qu’elles le représentent comme immoral et dangereux. Il m'est avis que les cent et quelques femmes auteurs qui vivent à Paris de leur plume ou de la collaboration de leurs amis, et qui s'étaient emparées duroman, comme de leur domaine exelusif, abandonneraient à Mme de Staël, en sa qualité de pédante, le domaine littéraire et philosophique. Mais, qu’avec son esprit, Son imagination, sa grande expérience de la vie, elle ose aborder le genre dans lequel ces dames trouvaient à faire tranquillement leurs petits bénéfices, sans grand apport de talent, voilà ce qu’elles ne sauraient tolérer ! Et si l’on ajoute que Mme de Staël va rentrer à Paris et rouvrir en réalité un de ces salons que les femmes de lettres ne voient qu’en imagination, on comprendra leur déchainement, leur ardeur à dresser des batteries, depuis l’Arsenal, le quartier général de Mme de Genlis, jusqu'aux Tuileries. On peut douter que le « héros consulaire » s’'émeuve beaucoup de cette levée de boucliers féminine. Aimant peu la lecture, il est probable qu'il n’a

(1) L'Électeur de Saxe défendit en effet la vente publique à Leipzig; comme de coutume, l'interdiction pro forma n'empêcha ni les éditions ni les traductions de se suivre de près, en Suisse et en Allemagne.

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