Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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devaient se trouver dans le roman, quelques ministres et hommes d’État plus ou moins détestés craignaient de S'y reconnaître. Mais Mme de Staël a tracé ses croquis d’une plume légère, sans s’astreindre à la ressemblance absolue; elle s’est même hasardée à transformer quelquefois des hommes en femmes. Il faut donc, aux originaux qui ont posé devant elle, un certain flair pour se reconnaître dans leur image ingénieusement déguisée. — Dans sa préface, qui traite d’une foule de grosses questions, Mme de Staël parle de la « France silencieuse » ; on interprète ces mots dans un sens politique, et l’on s’en montre fort mécontent en haut lieu.

Ce matin, je trouve enfin, dans le Publiciste, un article de Suard qui me paraît juger Delphine comme il convient d'apprécier une œuvre de cette valeur. Suard rend hommage au talent avec lequel est tracé le caractère de Delphine; 1 juge moins favorablement celui de Léonce, et remarque judicieusement que l’auteur a prétendu fondre dans un même individu deux natures toutes contraires. La soumission de Léonce aux arrêts de l'opinion est le fait d’une âme vulgaire, d’un caractère faible, d’un cœur égoïste ; elle est inconciliable avec la passion que l’auteur attribue à son héros. Suard fait l’éloge de la vraisemblance et de la variété des autres caractères mis en scène. Il convient qu’à la première lecture, les péripéties nombreuses par lesquelles ils sont obligés de passer, afin de se. développer, lui ont semblé longues et lui ont fait désirer d'arriver au dénouement; une seconde lecture lui a fait mieux apprécier l’art et la fécondité d'imagination de l'écrivain. Après avoir caractérisé le sentiment profond et l’éloquence brillante qui animent les situations principales, et qui font passer sur quelques défauts du plan et certaines négligences du style, il défend Mme de Staël