Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 213

décidée à agir, les exemplaires étaient vendus chez tous les libraires ; partout on réclamait déjà une nouvelle édition. Je crois que l’on avait trop compté sur l’action des plumes officieuses. On ne s’est pas rendu compte de la valeur et de l'attrait du livre de Mme de Staël; on s’est figuré qu'il ne parviendrait pas à forcer la ligne de défense des officieux et à conquérir la faveur publique.

Si l’on avait prévu cela, on aurait sans doute procédé comme on le fait pour certaines publications, dont on réussit à supprimer non seulement les exemplaires, mais jusqu'au nom même. Le public en ignore l'existence. C'est ce qui se passe pour le malencontreux pamphlet lancé contre le Premier Consul : Les cinq promesses (L), par Ivernois. Pas un journal ne l’a nommé, et comme aucune gazette anglaise ne se distribue à Paris, à l'exception d’une pauvre feuille hebdomadaire dont on est sûr, le pamphlet est aussi inconnu au public français que toutes les attaques imprimées à Londres contre le gouvernement consulaire. Ce n’est que par l'intermédiaire des léga-

(4) Les cinq promesses, tableau de la conduite du gouvernement consulaire envers la France, l'Angleterre, l'Italie, l'Allemagne et surtout la Suisse. Londres, 1802, in-8°.

L'auteur, François d'Ivernois, né à Genève en 1757, appartenait à une famille noble calviniste, qui s'était établie dans le principe à Neuchâtel. Passionné pour les questions politiques et économiques, mêlé aux luttes entre bourgeois et natifs de Genève, d'Ivernois avait fui, en 4794, pour échapper à une condamnation à mort prononcée par le tribunal révolutionnaire institué par les démagogues genevois, imitateurs des terroristes. A Londres, ses rancunes personnelles et un vieux levain de réfugié aristocrate s’accordèrent merveilleusement avec les haines commerciales très pratiques des Anglais. De 1795 à 1802, sept pamphlets contre la France, habiles et bilieux, étaient déjà sortis de sa plume; le gouvernement anglais comblait d'ailleurs de ses faveurs un auxiliaire ardent, instruit, moins compromettant que les chouans stipendiés des machines infernales.