Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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tions, et sous le sceau du plus profond secret, que l’on parvient à se procurer le pamphlet en question, ainsi que les journaux et leurs satires violentes. Les cinq promesses doivent étre excessivement rares à Paris, car je remarque que les personnes qui me les prêtent m'offrent toujours l’exemplaire que j'ai déjà eu entre les mains. Ivernois me paraît particulièrement bien renseigné sur les questions coloniales et sur les affaires de la Suisse. On n’est d’ailleurs pas en reste ici d’injures internationales ; depuis quelque temps, les journaux sont pleins de diatribes amères et violentes contre les Anglais. On s'étonne que le gouvernement, qui a accueilll un envoyé anglais, qui a un représentant à Londres, qui parait désirer au fond le maintien de la paix, favorise ou tolère cette guerre de plumes. Le Premier Consul a demandé officiellement au gouvernement anglais de poursuivre un gazetier nommé Peltier (1), qui publie à Londres une feuille française spécialement dirigée contre le général : elle a comme vignette un sphinx, avec la tête de Bonaparte et son costume habituel.

(1) Peltier (Jean-Gabriel) avait débuté dans les Actes des Apôtres, par le persiflage royaliste acrimonieux. Réfugié à Londres après le 10 août, il publiait, depuis 4800, l’Ambigu, variétés atroces el amusantes, journal dans le genre égyptien, paraissant tous les dix jours, parfois très amusant, toujours méchant et injuste jusquà la cruauté. « Personne, dit M. Hatin, l’historiographe de la presse, qui doit s'y connaître, n'a dit plus d’injures que lui à Bonaparte, »

Sur le refus d'agir, opposé par le gouvernement anglais aux réclamations du Premier Consul, Peltier fut assigné par l'ambassadeur français, convaineu de calomnie et condamné à une légère amende et aux frais. Cette condamnation prononcée le jour mème de la reprise des hostilités, à la rupture de la paix d'Amiens, devint une bonne aubaine pour le pamphlétaire : une souscription couvrit les frais du procès, et Peltier vendit à beaux deniers un nombre considérable de comptes rendus des débats. Ce personnage, peu estimé par Chateaubriand, a jeté plus tard sur le ministre Decazes le restant de venin qu'il n'avait pas déversé sur Napoléon.