Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 915

Mais je ne veux pas trop m’appesantir sur ces questions irritantes de la politique. Mon intention est d’emporter une ample récolte d’impressions artistiques qui charmeront mes souvenirs, et non des sujets d'émotions désagréables. Je reviens done aux arts et aux artistes ; à ce double point de vue, Paris est une mine inépuisable.

J’ai couru les ateliers et fait la connaissance agréable de plusieurs artistes : Gérard me plaît entre tous. Il aime réellement son art, et son caractère a autant d’aménité et de douceur que de fermeté virile. Sa noble physionomie attire dès l’abord ; ses manières aimables et distinguées achèvent la séduction. Par sa naissance, il est Romain (1) et n’est arrivé à Paris que peu de temps avant de sortir de l'enfance. L'Italie conserve ses sym-pathies intimes : il songe, m’a-t-il dit, à y retourner et à y faire même un séjour prolongé. Parmi les peintres français en renom, c’est lui dont le coloris me rappelle le mieux le ton chaud et vigoureux des maîtres italiens. J'en ai été d'autant plus frappé, qu'avant d’entrer chez Gérard, je venais de passer une heure dans l'atelier de David, devant son grand tableau les Sabines. Cette vaste composition, avec ses groupes dont chacun est le fruit d’une méditation profonde et d’un art accompli, dont la disposition savante en fait les parties bien ordonnées d’une puissante conception première, est, pour l'observateur, un sujet fertile en réflexions. Mais son coloris sec et froid, rappelant les tons crus de la chaux, fatigue bientôt les yeux. Cette peinture ressemble si peu aux Horaces, — le premier tableau que David ait envoyé de Rome, et que nous avons admiré au salon de 1786, — que l’on ne s'explique pas que le même pinceau ait pu produire les

(1) Né à Rome en 1770, d’un Français et d'une Romaine,