Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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deux toiles, car les Horaces sont tout à fait dans le caractère et dans le ton de l’école italienne. Cette différence, qui n'échappe à personne, a peut-être été la source des calomnies ayant créance auprès des gens qui détestent en David l’enragé jacobin d'autrefois. On a dit que les Horaces sont l’œuvre d’un jeune peintre mort à Rome ; on va jusqu’à prétendre que David l’a empoisonné ! L’extérieur antipathique de David, sa misanthropie, son humeur sombre et solitaire, ont pu accréditer ces misérables cancans parmi les Parisiens d’aujourd’hui, aussi crédules à certains égards que les habitants d’une petite ville. Ils font pâtir l'artiste de leurs préjugés contre l’homme ; sa conduite particulière devrait, ce me semble, échapper à la malveillance du public.

Gérard a le bonheur d’être sympathique comme homme et comme artiste. Je reviens donc volontiers à lui, afin d'achever le compte rendu de ma visite à son atelier. Je l’ai trouvé entouré de ses œuvres : Bélisaire, un portrait de Moreau, celui de Murat, et un portrait de la mère de Bonaparte, auquel il travaille. Les portraits de Moreau et de Murat, ces natures si opposées, sont des œuvres d’un haut mérite. Gérard a saisi le caractère de leurs physionomies respectives, avec autant de pénétration que de sentiment, et il a su le rendre sensible par l’éner- : gique variété de son pinceau. Tous les détails de ces toiles sont choisis avec un goût plein de sagacité. Moreau est debout, dans une attitude des plus naturelles ; son uniforme, d’une extrême simplicité, n’a d’autre insigne que la large écharpe tricolore du général en chef. A côté de lui, on aperçoit une tente ordinaire de soldat, et ses yeux, dont l'expression honnête et loyale est rendue avec une fidélité parfaite, plongent dans le lointain.

Murat, avec son abondante chevelure noire frisée, son