Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT, 217

air d’audace, son sourire narquois, est représenté dans un étincelant uniforme de hussard. Un petit nègre, auprès de lui, s’harmonise merveilleusement avec l’ensemble de cette peinture intentionnellement fastueuse.

Le Bélisaire, dont je vous ai déjà dit un mot, me cause, chaque fois que je le contemple à loisir, une haute impression tragique, analogue à celle que j’éprouve en lisant l'OŒdipe, de Sophocle. C’est un chef-d'œuvre; jamais la postérité ne voudra l’attribuer à notre époque, si frivole et si mesquine, quand le nom du peintre aura été oublié.

Je ne dois rien dire d’une grande composition historique et mythologique à laquelle Gérard travaille en ce moment ; il défend d'en parler avant son exposition en public. On dit que David s’occupe de son côté d’un travail semblable.

J'ai passé ensuite chez Robert (1). Le bon paysagiste semble ne pouvoir plus peindre que des morceaux d’architecture: il en surcharge ses toiles. Mais j'ai trouvé là une perle d’un autre genre : Mme Récamier en personne, s’amusant à crayonner un paysage. Elle a fait disposer, à côté de l'atelier, pour son usage particulier, une jolie pièce dont l'ameublement comprend un piano-forte et un élégant lit de repos. Drapée dans son égyptienne garnie de fourrures, ses belles boucles négligemment jetées en arrière, sa laille flexible inclinée vers le carton que sa main charmante effleurait, son regard humide allant et venant du dessin à son humble admirateur, Mme Récamier était assurément un joyau exquis dans l'atelier du vieil artiste. Je me permis de lui dire que Gérard devrait bien la peindre dans l'attitude où elle se trouvait. Elle me répondit qu'il l’avait déjà fait. J’ai vu, en effet, plus tard, cette

(1) Robert (Hubert), né en 1733, avait exactement soixante-neuf ans, -