Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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peinture dans l'atelier de Gérard ; je dois dire que, cette fois, l'artiste est resté au-dessous de son charmant modèle.

Mme Récamier me rappela gracieusement son prochain bal, et, tout en causant, j’eus l’occasion de lui vanter les talents de danseur de l'excellent Robert. Je lui racontai que, dans une récente soirée chez Mme Vigée-Lebrun, il avait pris part à une « française » avec une légèreté et une désinvolture étonnantes pour ses soixante-dix ans. Quelques jeunes gens faisaient des façons pour danser; faute d’un cavalier, la « française » ne pouvait s’organiser. Robert se lève vivement, offre la main à la plus jolie femme de la société et s’acquitte de son rôle à charmer. Il n’y a qu’un Français capable d’en faire autant !

Ce ne sont pas les danseurs qui ont manqué au bal de Mme Récamier; c’est la place qui faisait défaut. Il y avait tellement de monde, qu’il a été presque impossible d’organiser les danses ; très peu de personnes y ont pris part, et les assistants, désireux d’admirer les merveilleuses di primo cartello ou de contempler les grâces des danseurs fameux, tels que M. Trenitz, ont dû monter sur les cheminées ou sur les sièges pour voir quelque chose.

Il y avait une affluence extraordinaire d'étrangers : Anglais et Russes en majorité, comme d'habitude; et les nouveaux arrivés, Autrichiens et Néerlandais. Jamais je n'avais remarqué autant de luxe de toilettes; Mme Récamier était à peu près la seule qui fût en simple toilette blanche, mais avec sa coiffure en boucles, —un vrai chefd'œuvre, —- elle était délicieuse. Les Russes et les Polonaises, étincelantes de pierreries, ont été éclipsées par une splendide Anglaise dont personne n’a su me dire le nom. Sa toilette était une merveille de richesse et d’élégance : robe de velours noir allant à ravir, rehaussée de