Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 219

perles fines et d’une profusion d’admirables diamants; réseau d’or, constellé de pierreries, chatoyant dans ses magnifiques cheveux blonds. En général, ce ne sont pas les Anglaises dont on peut vanter la toilette.

Quant aux jeunes gens, sortis pour la première fois de leur ile, il est impossible de s’imaginer des êtres plus patauds. Comme ils sont toujours fort nombreux dans les soirées, on n'en remarque que mieux leurs manières maladroites. Hier soir, un de ces jeunes insulaires s’est signalé par les dégâts qu’il a commis dans la belle chambre à coucher de Mme Récamier. À droite et à gauche du lit, sont placés des consoles de bronze et des guéridons chargés de bibelots antiques : lampes, cassolettes à parfums, coupes de tous genres. Un guéridon se trouvait près de l’entrée de la salle de bain; dans sa gaucherie, un des Anglais l’a renversé en passant, brisant une partie des bibelôts projetés sur le parquet avec fracas. Parmi les curiosités éparpillées sur les étagères figuraient aussi des livres de physionomie sérieuse : la Décadence de l'Empire romain, de Gibbon, les Nuits, de Young, l'Histoire philosophique des deux Indes, de Raynal! La présence de ces graves témoins, au milieu des folies d’un bal, jointe à la catastrophe causée par le jeune balourd anglais, ont, naturellement, donné lieu à une foule de réflexions plaisantes.

Parmi les étrangers de connaissance, j'ai rencontré le général Hompesch (1). A la solde de l'Angleterre pendant la dernière guerre, il a servi en Europe et aux Indes où, par parenthèse, il a été atteint de la fièvre jaune. C’est toujours le même homme, d’une activité extraordinaire ; il arrive de Rome, après avoir passé quelques jours

(4) La famille de Hompesch était originaire de Dusseldorf. Le dernier, grand maître de Malte, est mort à Montpellier en 4808.