Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 233

teur; sa femme, d’une simplicité si gracieuse, l’accompagnait. Le seul ennui de la réunion a été l'absence du maître de la maison, qui n’a pu présider sa table, servie avec un goût délicat, inconnu à l’ostentation des « nouveaux riches ». Il avait dû s’aliter par suite d’une crise de la douloureuse infirmité — les hémorroïdes — contractée pendant sa déportation à Cayenne, après Fructidor; son frère a fait les honneurs. Des réminiscences de cette nature viennent trop souvent vous assombrir au milieu des plaisirs parisiens; on a réellement besoin des distractions mondaines pour ne pas céder aux sentiments pénibles qui vous assiègent quand on coudoie tant de victimes, d'auteurs ou de complices des dissensions civiles.

J'ai fini ma soirée en allant entendre à l'Opéra le Dardanus de Sacchini, une des œuvres les plus faibles du maître; à mon avis, elle n’a été qu'une sorte d’introduction à son OEdipe. Conçu dans le genre agréable et léger, qui caractérise les opéras italiens modernes, Dardanus n’a dû sa faveur qu'aux mélodies caressantes, si bien rendues par les gosiers méridionaux, si bien comprises par le public napolitain instinctivement musical. Les artistes français ne savent pas les chanter, et les auditeurs parisiens les apprécient rarement. Mme Branchu s’est cependant montrée bonne cantatrice devant une assistance clairsemée.

Le lendemain, réception chez le consul Lebrun. On s’y pressait moins que chez Cambacérès; il est vrai que les appartements du troisième Consul, dans l’ancien hôtel de Noailles, rue Saint-Honoré, sont plus vastes que ceux de son collègue, place du Carrousel. Restaurés et remeublés à neuf, ils ont grand air, bien que l’on n’y remarque pas