Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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cette multiplicité de glaces qui semble de rigueur ici, chez les personnages officiels. Deux des salons sont magnifiquement dorés; quoi qu’on dise, la dorure reste la plus belle décoration. D’amples rideaux à bordure, en soirie lyonnaise brochée, des tableaux de maitres italiens et hollandais complètent l’ensemble imposant. J’ai eu l’occasion d'échanger quelques mots avec Lanjuinais, l’orateur si ferme dans ses principes politiques, qui siège maintenant au Sénat. Il y avait d'autant plus d'intérêt à faire sa connaissance, que l’on parle beaucoup de l’énergie et de l'indépendance avec lesquelles il vient de se prononcer contre la proposition de ressusciter le titre « Majesté » — consulaire ou impériale? — en faveur du Premier Consul. L'opposition de Lanjuinais a produit l'effet habituel : on a retiré une motion prématurée, sauf à la reproduire, lorsque les esprits seront mieux préparés. La personne de cet orateur m’a fait éprouver une surprise analogue à celle que m'avaient causée Carnot et Kosciusko. La physionomie du champion des luttes révolutionnaires indiquerait, à première vue, une bienveillance, une douceur presque féminine. Maigre et de petite taille, il semblait encore diminué par l’ample costume sénatorial; des yeux ardents et profonds révèlent seuls la trempe de son caractère. Ses cheveux noirs et plats, taillés en rond, cadraient mal avec son habit. Malheureusement un étranger, présenté dans un salon officiel à un homme de cette notoriété, ne peut guère échanger que des phrases de politesse.

Le département des finances était représenté par les titulaires jumeaux : Gaudin, ministre des finances ; BarbéMarbois, ministre du trésor. Le premier, petit et élégant Français à la vieille mode, aux allures de l’ancien régime, était coiffé d’une perruque frisée, fort bien assortie à son