Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

476 UN HIVER A PARIS

Le peintre Gérard m'a offert un régal musical pour ma dernière soirée parisienne. Il m'avait fait attendre bien longtemps ma présentation à Mme Barbier, dont le mari travaille dans l'atelier du grand artiste; il a songé à m’offrir une compensation, en m'invitant à une réunion d'artistes de ses amis, parmi lesquels figurait en tête Mme Barbier. Peu s’en est fallu que je n’aie manqué cette audition. Divers motifs m’avaient fait arriver tard au Louvre : toutes les entrées étaient fermées. Je découvre enfin une porte qui s’ouvre après un carillon prolongé; le Suisse me fait entrer, et, me prenant pour un habitué du palais, me laisse m’élancer seul par un escalier dérobé, noir comme un four: En vaguant dans les ténèbres, je passais et repassais sous les fenétres ouvertes de Gérard; j'entendais les éclats de la belle voix de Mme Barbier et des autres chanteurs, mais je ne parvenais pas à me retrouver dans le labyrinthe intérieur du Louvre; mes appels désespérés n’arrivaient pas aux concertants dans le feu de l’action. Courant de tous côtés, comme les chevaliers de lArioste dans leur château enchanté, le hasard me ramène à l'escalier par lequel j'avais passé; je me hâte de descendre, pensant réclamer l’aide du suisse qui m'avait ouvert. Autre déconvenue : la grille intérieure en fer, au bas de l’escalier, avait été fermée derrière moi; je me trouvais pris. À force de crier et de secouer avec fracas la maudite grille, je finis par réveiller le gardien, qui voulut bien m'éclairer et me conduire jusqu'à la porte de Gérard. Une partie de ma soirée et de mon plaisir était perdue; mais les artistes au milieu desquels je suis resté jusque vers le matin, m'ont fait oublier ma mésaventure. Isabey, qui se trouvait là, me promit de m'envoyer, avant mon départ, un des premiers exemplaires de la gravure de son portrait de Bona-