Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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que je viens d'entendre pour mes péchés. Cette dernière expérience me détermine à ne jamais écrire une note pour la première cantatrice; d'autant mieux, que je viens de découvrir un talent nouveau dans Mme Henri (1). C’est faire un sacrifice réel, au point de vue dramatique, de se priver du concours de Mile Maillard, car Le public la tient décidément pour une grande tragédienne : il acclame chacun de ses eris, chacune de ses contorsions ; plus elle s’agite. plus elle rugit, plus les bravos et les trépignements retentissent. Les artistes d’un talent calme et fin ne peuvent lutter avec elle. De même qu'à la lumière de la rampe le plus joli teint paraît blafard à côté d'un visage fardé, de même les chanteuses moins agitées semblent inertes ou pétrifiées en face de la première chanteuse. Et, comme les appointements sont en raison des bravos, ces jeunes artistes sont contraintes de se démener et de crier, quoi qu’elles en aient. En général, elles n’arrivent qu'à briser leur voix; car, en dépit de leurs efforts. elles paraissent toujours faibles et mesquines en regard de Mlle Maillard, dont la vigueur écrase sans fatigue tout son entourage. Ce soir, Laynez (2) l’a imitée et même dépassée : lui aussi est regardé comme un tragédien, bien qu'à mon avis, de toute la troupe, Adrien seul ait quelque titre à ce nom. Malheureusement sa voix ne vaut guère mieux que celle de Laynez. — Pour achever le

cent-mille! » Les décors d'Hécube, l'embrasement de Troie surtout, étaient très beaux. Kotzebue, qui vit la pièce en 1804, en fait grand éloge, à ce point de vue.

({) Mme Henry, en remplacement comme premier rôle, était entrée à l'Opéra en 4796; en 1799, elle prit le deuxième rôle tendre; en 1800, celui des jeunes princesses. À partir de 1804, elle ne figure plus sur l’état du personnel.

(2) Laynez ou Lainé avait débuté à l'Opéra en 4773. Jeu expressil mais exagéré; chant chevrotant, ridicule chez un ténor de la première scène lyrique.