Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 63.

d’Armide, comme je ne les avais pas entendues depuis la Saint-Huberty ; à cause d’elle, je me félicite d’avoir apporté la partition de mon Tamerlan.

Dimanche, bien que ce fût le jour du populaire, j'ai pu entrer fort tard à l'Opéra, grâce à l’amabilité des Delessert, chez qui j'avais diné. Ils m’avaient offert une place dans leur loge; mais je ne suis arrivé qu'au dernier acte du Mystère d'Isis. C'est la Flûte enchantée, singulièrement travestie (1). Les décors sont beaux et les changements à vue des Épreuves de l'eau et du feu très bien machinés. Une nouvelle cantatrice, Mile Armand (2), s’est révélée pour moi : sa voix est de bonne qualité et son jeu indique d'heureuses dispositions. Il serait facile, je crois, d’améliorer l'Opéra, en ce qui concerne les cantatrices; pour les chanteurs, c’est une autre question! L’exécution de la partition de Mozart a été satisfaisante, l'orchestre conserve son ancienne vigueur, les bons solistes y sont nombreux et Kreutzer (3), l’énergique violon, le conduisait avec talent.

Ce matin, j'ai retrouvé Kreutzer dirigeant une messe en musique, organisée par un M. Roze (4) en l'honneur

(1) Le titre original de cet opéra, joué à Vienne pour la première fois en 1791, Die Zauberflôte, serait plus exactement traduit par la Flûte magique. Son « travestissement » français était l'œuvre de Morel de Chédeville dont il a été question plus haut.

(2) Mile Armand (Anne-Aimée) avait débuté à la salle Favart, en 1774. Sa voix était sonore et timbrée, son expression énergique; mais sa vocalisation manquait de légèreté et son intonation n'était pas irréprochable. Elle a quitté la scène en 1811.

(3) Kreutzer (Rodolphe), émule de Rode et de Baïllot, auteur des opéras Paul et Virginie, Lodoïska (tous deux de 1791), était à ce moment violon-solo à l'Opéra; il n’est devenu chef d'orchestre qu'en 1816. Sans avoir la pureté de son exquise de Rode, ni la passion et le grand style de Baillot, Kreutzer jouait d'inspiration avec une originalité entraînante.

(4) L'abbé Roze, voué à l’enseignement de l'harmonie depuis 1779; bibliothécaire du Conservatoire de 1807 à 4819. Le manuscrit