Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 65

pour percer jusqu’à un jeune homme, placé à l'extrémité du chœur, aux derniers rangs. Parvenu devant lui, le policier lui présente, sans mot dire, un billet ouvert. Le jeune homme, bien mis du reste, ne regarde même pas le billet, se lève et suit en silence. Seul dans l'assistance, j’ai paru étonné. Mes voisins à qui je demandais ce que cela signifiait m'ont répondu froidement : « Ce jeune homme a reçu notification d’un mandat d'arrêt. » Le procédé de l'agent de police me rappelle une aventure arrivée dernièrement à un de mes amis. On parlait devant lui des difficultés que l’on éprouve souvent à pénétrer dans certaines sociétés closes. « Moi, dit-il, j’entre partout! » Comme on s’étonnait de sa réponse et que l’on semblait incrédule, il tire de sa poche une carte qu'il tenait d’un employé supérieur et moyennant laquelle il avait accès partout. Le maître de la maison, homme haut placé lui aussi, jette un coup d'œil sur la carte et la déchire, en disant à mon ami : « Savez-vous que c’est en qualité d’espion de police que vous avez eu l'honneur de passer partout? » Vous voyez la figure du porteur de la cartel

Ma soirée au Théâtre-Français n’a guère été plus agréable que ma matinée à la messe de la Sainte-Cécile. On donnait l'Abbé de l'Épée (1), drame larmoyant, qui m'est antipathique par cela seul. Le jeu des acteurs a achevé de me le rendre odieux. Damas (2), assez bon d'habitude, a passé une scène entière à se traîner sur les

(1) Drame dans lequel le Tourangeau Bouilly, jacobin° venu à résipiscence, a épanché sa sensibilité, en prenant pour canevas le Procès du comte de Solars, cause célèbre de la fin du dix-huitième siècle. Représenté pour la première fois en 1799, l'Abbé de l'Épée s’est maintenu longtemps à la scène sans raison bien appréciable.

(2) Damas (Alexandre), sociétaire depuis 1799, a quitté la scène en 1825. Beaucoup de zèle, l'habitude de la scène, un geste et une déclamation assurés, lui permettaient de chausser alternativement le cothurne et le brodequin, avec des succés d'estime.