Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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genoux, en poursuivant son « père » de ses larmes et de ses gémissements. C'était intolérable! Le vieux Monvel(1), un des rares survivants de l’ancienne Comédie française, avait commencé à jouer assez dignement son rôle d’abbé de l'Épée. Mais il a fini par le prendre sur un ton si tragique et si agité, que j’ai failli, dans mon exaspération, quitter la place. Mile Mars a été gentille dans le rôle du sourd-muet; mais elle a joué infiniment mieux dans le petit acte Caroline (2), autre pièce semi-sentimentale. Dugazon eût été bien dans un rôle de valet, s'il n°y avait mélé beaucoup trop de bouffonnerie italienne. IL est incroyable que l’on n'ait même pas su conserver aux Français la vraie tradition du personnage si plaisant du valet de comédie.

Les égards et la considération que l’on a, en France, pour les arts s'étaient déjà manifestés, à l'égard du peintre Guérin, — son Hippolyte excite toujours l’enthousiasme —, par les « entrées » que lui ont offertes les directions de l'Opéra et du Théâtre Français. Ce soir, dans le petit acte dont je viens de parler, l’auteur Roger a mis les vers suivants dans la bouche de « Caroline », censée revenir de l'Exposition :

Me voilà de retour : Ah! quelle foule immense! Tout Paris au Salon s’est réuni, je pense.

Surprise avec raison, j'interroge : on me dit, Que le jeune Guérin, Guérin dont le Proscrit

(3) Jacques Boutet, dit Monvel, excellent acteur et dramaturge assez heureux. Petit et fluet, il compensait ces défauts extérieurs par une parfaite intelligence de ses rôles. [1 avait doublé Molé avant 1780, et avait eu un succès bruyant, comme auteur et comédien, dans sa pièce de circonstance les Victimes cloîtrées (1791). Le public de 1802 continuait à l’applaudir dans les rôles à manteau. — Mile Mars, nommée plus loin, fille de Monvel et d'une danseuse, Mlle Boutet, avait été introduite aux Français par Mile Contat qu'elle devait remplacer si merveilleusement.

(4) Caroline ou le Tableau, comédie en un acte, en vers, par F. Roger.