Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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Malgré tout, l’ensemble conserve quelque chose de la dignité et du grandiose pittoresque d’autrefois. Les chœurs valent mieux, l'orchestre n’a rien perdu, la superbe ouverture a été enlevée d’une facon entraînante. Je n'ai pu cependant m'empêcher de renouveler, à part moi, le vœu que j'ai fait jadis : je trouve qu’il vaudrait mieux passer l’élégante petite introduction à deux parties en mineur et débuter par l’imposant motif en majeur. Il y a là, je le sais, comme dans toutes les œuvres de Gluck, une intention délicate; mais à l'audition, elle ne produit pas l'effet voulu.

Le fameux ballet Psyché (1), que je me réjouissais tant de revoir, m'a causé une vraie déception : les décors et les costumes n’ont pas été rafraichis depuis dix ans; toute la mise en scène a perdu le caractère idéal et charmant qui me séduisait; la gracieuse scène du miroir de Psyché n’a plus elle-même sa ravissante magie. Ce n’est qu'à contre-cœur, paraît-il, que la direction reprend un ballet qu’elle voulait supprimer. La danse a été bonne; Duport surtout m'a plu : c’est un artiste. Parmi les décors, il n’y a que celui du Tartare qui produise toujours son impression terrible. Cette représentation s’est prolongée beaucoup trop tard. On finit par être étourdi et aveuglé, quand, sous la lumière éblouissante des lustres, on écoute, de sept heures à onze heures, une exécution bruyante, avec surabondance de timbales.

Il en a été de même pour Aceste : le spectacle n’a fini qu'à minuit. Mile Armand m'a satisfait de nouveau dans

(1) Ballet réglé primitivement par le célébre chorégraphe Noverre; la musique avait été écrite par l’habile violoniste et corniste strasbourgeois Rudolphe, vers 1762. Gardel avait remanié ce ballet en 1792, avec la collaboration de son beau-père, Müller, dit Miller, qui introduisit dans la partition la belle ouverture du Démophon, de son ami Vogel, autre Allemand, ami de la bouteille comme lui.