Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 73

fait que, depuis vingt ans, l'Opéra, qui coûte si cher, n’a compté qu'une belle voix d'homme, celle de Laïs, lequel est un Méridional. Chéron (1), l'unique basse-taille authentique que l’on ait entendue sur cette scène, est aujourd'hui presque aphone. Et, en dehors du théâtre, la seule voix à citer est celle de Garat, Basque de naissance, presque aussi Espagnol que Français. Une dernière réflexion : si les basses profondes et les vrais ténors sont rares en France, en retour, il y a abondance de basses chantantes, parmi les hommes, et de hautes-contre, parmi les jeunes garçons. Ces deux genres de voix ont une propension instinctive à monter : les ténors adolescents, dont l’organe normal est sans force ni sonorité, s’évertuent à changer leur diapason et les basses adultes montent invariablement au baryton. Le Conservatoire de musique, entré dans la bonne voix (2) et cherchant à former de vrais ténors, arrivera certainement à faire chanter ses élèves mieux que par le passé; mais je serais surpris qu'il réussit à fournir des hautes-contre (ténor aigu) et des basses, capables de remplir, sans crier, la

(1) Une belle voix métallique d'émission facile, un sentiment juste de la musique et une taille majestueuse, avaient valu à Chéron un ordre de début à l’Académie royale, dès 1779. [l s’est retiré de la scène à la fin de 1802. Il était temps! au témoignage de Reichardt. ,

(2) De 1795 à 1814, la direction du Conservatoire n'a pas changé de mains. Grâce à l'initiative de Bernard Sarrette, capitaine de l'état-major de la garde nationale, en 1792, l'École de musique militaire, créée par lui, est devenue successivement l'Ecole gratuite de musique, l'Institut national de musique, enfin le Conservatoire, par une loi de 1795, après avoir été fondue avec l'Ecole de chant et de déclamation, que Gossec dirigeait dès 1784 et dont l’idée première revient au musicien strasbourgeois Rudolphe, qui l’avait soumise au ministre Amelot, en 1770. C’est par le talent d'organisateur et l'esprit de suite de Sarrette que le Conservatoire a done reçu, dès le début, l'impulsion féconde qui n’est pas amortie. Sarrette, nommé commissaire du gouvernement en 1796, était devenu directeur en 1797.