Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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salle de l'Opéra. À mon avis, le Conservatoire devrait s'installer et se recruter dans le Midi.

L’oreille des Français me paraît aussi manquer de sensibilité ; ils aiment la musique bruyante; un compositeur ne risque jamais qu’on l’accuse d’abuser des trompettes et des timbales. Les orchestres connaissent à peine le forte et le piano: la notion d’un forte large et plein, d’un piano soutenu leur échappe; il n'existe pour eux que du fortissimo et du pianissimo. Ce sont les contrastes extrêmes que le public applaudit; et il ne faut pas diagnostiquer dans ce fait une simple question de mode et de préjugé, car je vois des gens d'esprit et de goût, après avoir applaudi Cimarosa ou Paisiello, battre des mains avec le même enthousiasme lorsque l’on exécute de misérables rapsodies, en les agrémentant de l’inévitable fortissimo ou pianissimo. Le meilleur chanteur de l'Opéra, Laïs, adopte lui-même le procédé afin d’être applaudi à coup sûr : vers la fin de ses grands airs, il ne manque jamais de roucouler quelques mesures, comme une tourterelle, et de lancer ensuite, de toute la force de ses poumons, ses notes finales (1).

Paisiello, avec qui j’ai beaucoup disserté à ce sujet, est de mon avis. Il convient que la tâche qu’il a acceptée

(1) Les réflexions du maëstro allemand sur les aptitudes musicales des Français peuvent choquer les organisateurs et membres de toutes les sociétés, chorales et instrumentales, qui s'efforcent, avec un zèle louable, d'appliquer chez nous le système du suffrage universel à la musique. Mais, il faut en convenir, ils ont affaire à un terrain ingrat. Le spirituel Francis Wey, qui ne se piquait pas d'être mélomane, mais dont la finesse d'observation humoristique ne saurait être contestée, remarque que « cette nation (française) ne possède pas le sentiment de l'harmonie; le centre (du pays) est muet comme les poissons; dans les villes, le peuple siffle faux et, quand il chante, c'est bien pis »! Dans ce pays de langue d’oùl, est née la mélopée déclamatoire, qui substitue le rythme à l’accent et qui est la source du récitatif. Si c’est à Paris que s’est jouée toute la