Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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non plus à une belle mise en seène, chose importante ici ; et la direction qui, d’après les ordres du Premier Consul, n'épargne rien pour monter Proserpine avec splendeur, serait portée vraisemblablement à lésiner sur la décora" tion de la Colère d'Achille.

En exposant franchement les motifs de mon refus, j'ai soumis à la direction une idée, à laquelle elle a fait un accueil meilleur que je ne le pensais. Partant de ce principe, qu’en matière d'art, comme en matière d’affaires, on réussit à la condition de n’entreprendre que les choses réalisables avec les moyens dont on dispose, je l'ai en-gagée à mettre en œuvre, d’après un plan nouveau, son -corps de ballet, ses chœurs et son orchestre, contre lesquels il y à peu à dire, et de monter un grand ballet pantomime avec chœurs. On pourrait utiliser, pour les solos, les jeunes chanteurs, se passer des premiers sujets avec leurs exigences, et tirer un excellent parti des décors, des chœurs, du ballet et de l'orchestre. La seule belle voix d'homme de l'Opéra, celle de Laïs, serait employée à faire valoir quelque rôle de divinité, Apollon, par exemple. L'intérêt dramatique serait sans doute faible dans une pareille combinaison (1); mais le compositeur et le chorégraphe auraient les coudées d'autant plus franches et toute latitude pour combiner de beaux effets de scène. J'ai offert de me concerter à ce sujet avec Gardel. Mon idée semble sourire à Cellerier et il m’a

(1) Il est piquant de constater que « la combinaison » présentée comme du nouveau rappelle le premier essai connu de représentation publique dans laquelle la musique ait occupé une place importante. C'est la fête donnée à Florence, en 1539, à l’occasion du mariage de Côme de Médicis avec Léonore de Tolède. Elle n’a ni sujet, ni action dramatique : Apollon, les Muses, l’Aurore, des bacchantes, des satyres, etc., ete., encadrés dans une profusion d’allé-

gories, s’y mêlent sans le moindre intérêt scénique. (V. La Musique en France, par A. Coquarp, p. 29.)