Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt, стр. 402
XXXIII
5 mars 1803.
Quelle existence désordonnée l’on mène dans une grande ville! Voilà quatre mois que je suis arrivé, et ce n’est qu'aujourd'hui que j'ai réussi à trouver chez eux deux vieux amis, Suard et Morellet (1). Suard est toujours l'esprit fin, délicat, curieux de tous les progrès intellectuels, et le vieil abbé Morellet conserve son caractère indépendant et ferme. Que d'épreuves n’ont-ils pas subies l’un et l’autre! Suard en porte les traces irrécusables sur son visage, sillonné de rides. Après avoir échappé, par miracle, aux périls de la Terreur, il a dû fuir devant les persécutions du misérable Directoire et s’exiler pendant quinze mois chez nous. Morellet a réussi à rester caché dans Paris, pendant les temps les plus mauvais, grâce au dévouement de ses amis ; son caractère ne s’est pas démenti dans ces conjonctures cruelles : il a publié d’énergiques et éloquentes protestations en faveur des parents d’émigrés, atteints par les décrets
(4) Les deux académiciens mélomanes avaient pris part à la guerre des Glückistes et des Piccinistes. Morellet avait publié, en 1774, le livre : De l'expression en musique, qui contient des idées ingénieuses; son goût pour la musique s'était accru avec l’âge. Suard, Glückiste déclaré, avait inséré des articles piquants dans le Mercure et le Journal de Paris. !