Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt, стр. 403

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odieux de l’Assemblée nationale, de la Convention et du Directoire; son intervention a été utile à des milliers d'individus. Maintenant il me paraît vivre dans un milieu d'émigrés revenus dans leur patrie et reprendre ses anciennes habitudes mondaines. A deux heures de l’aprèsmidi, je l'ai trouvé encore en grand négligé: il s’est fort excusé de me recevoir ainsi, donnant pour raison qu'il était rentré tard d’un bal dans son voisinage, chez une vieille comtesse de ses amies. Notez qu'il doit étre plus près de quatre-vingts ans que de soixante-dix (1). Je lui ai fait plaisir en lui disant que ses Mémoires en faveur des émigrés ont produit de la sensation en Allemagne ; que plusieurs d’entre eux ont été traduits et imprimés dans le journal Frankreich (2). Le bon abbé s’est levé pour prendre dans sa bibliothèque la collection de ces opuscules et marquer ceux que je lui désignais comme ayant été traduits. Les littérateurs français, qui attachent tant de prix à la clarté et à la netteté du style et qui reculaient autrefois devant la pensée d’être traduits dans une langue qu’ils tenaient en médiocre estime à cet égard, commencent à admettre que l'allemand n’est pas incompatible avec la finesse et l'élégance. Suard, appréciateur de nos bons écrivains, m'a demandé une liste des auteurs marquants de ces derniers temps. Les deux académiciens ont réussi à sauver la meilleure partie de leurs bibliothèques; ils montrent beaucoup de zèle pour combler les lacunes et

(1) André Morellet était né à Lyon le 7 mars 1727; il avait donc soixante-seize ans. [l mourut en 1819, à quatre-vingt-douze ans.

(2) La France, journal que Reichardt avait créé depuis quelques années en vue de faire connaître les événements politiques, littéraires et scientifiques survenus en France; la plupart des articles étaient tirés des journaux français. Cette feuille, favorable aux idées de 1789, paraissait en langue allemande à Hambourg.