Danton émigré : recherches sur la diplomatie de la République an 1er-1793
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 223
vérité ne nous alarme pas, notre intérèt exige que dans cette lutte il n’y ait point de neutres; et si nous y sommes contraints, je propose que nous fassions cette proclamation générale adressée à {ous les peuples : «Que dans une guerre des rois contre des « hommes, nous ne pourrions connaître que des amis ou des en« nemis. » La politique vous conseille cette résolution, en apparence désespérée, et j'en vais développer les motifs.
« L'Angleterre est une puissance tellement prépondérante dans le commerce et la navigation, que les autres peuples ne sont en quelque sorte que les facteurs de ses négociations, la France seule a son industrie et ses richesses propres ; mais l'Espagne, le Portugal et la Hollande, les petites Républiques d'Italie, trafiquent sur des fonds et des produits de l'industrie anglaise, et les trésors du nouveau monde et ceux de l'Asie sont maintenant tributaires de l'active industrie des commerçants et des fabricants de cette nation. Le Danemark, la Suède, la Russie, ont un fonds apparent de commerce dans les munitions navales, qui semble leur appartenir; mais ce fonds est mis en valeur par les capitalistes anglais, et l'on ne peut trouver sur le globe aucune branche lucrative de trafic qui ne soit exploitée au profit de ce peuple essentiellement marchänd. Je sais que c'est une entreprise hardie que doser seul se déclarer contre un monde d’ennemis ; mais si de grands hasards sont attachés à cette résolution, elle offre aussi de grandes ressources. S'il s'agissait d'attaquer les nations elles-mêmes, cette proposition serait folle, et ne mériterait pas qu'on la discutât; mais les peuples ne seront dans cette guerre qu'un instrument passif; et comme ils en éprouveront les pertes sans aucun dédommagement, ils en seront plus faciles à convaincre qu'elle est injuste, et leurs vœux, en nous combattant, seront à la fin pour nos triomphes. On n’a pas assez réfléchi sur les avantages des nations qui combattent en masse et qui font la guerre elles-mêmes, et pour la cause commune : il est utile de se rappeler, à ce moment où l'Europe nous menace d'une guerre générale, ce que des peuples faibles, mais dévoués et résolus comme nous de vivre libres ou de mourir, ont déployé de forces dans des circonstances à peu près semblables ; l'aspect de la résistance courageuse des Athéniens, dont le territoire n'égalait ni en étendue ni en population le plus petit de nos départements, de cette guerre terrible qu'ils soutinreut pendant trente-huit années contre toutes les nations voisines, qui fut aussi fatale à la Grèce qu'aux Athéniens eux-mêmes, est le plus grand monument que l’histoire nous ait transmis du courage, de la férocité et du génie de l'homme; il est aussi la preuve de ce que peut le génie de la Liberté.