La France sous le Consulat

POÉSIE LYRIQUE ET DESCRIPTIVE 275

totalement dépourvus de l'imagination créatrice, de la sensibilité frémissante, de la vision colorée, qui font le poète digne de ce nom.

Lebrun-Pindare (1729-1807), comme l'ont surnommé ses contemporains, abstrait, tendu, d'une chaleur factice, est tout au plus, à l’occasion, un habile artisan de mots. Le lyrisme n'a, du reste, qu'un nombre restreint d'adeptes. Le genre en faveur est le genre descriptif et didactique où l'abbé Delille (1738-1813) règne en maitre incontesté’, aussi bien de la part des classiques que des écrivains de la nouvelle école : Chateaubriand est de ses admirateurs. C’est un impeccable versificateur, rompu à toutes les adresses, à toutes les ruses du métier; mais ses prouesses d'exécution, ses ingénieuses et amusantes périphrases, ses jolies inventions de détail ne’ sauraient racheter le néant de l'inspiration. A sa suite, ses disciples et ses imitateurs mettent en rimes : le Mérite des femmes, l’ Espérance, le Potager, la Gastronomie, le Printemps d'un proscrit, elc.; d'autres confectionnent, à l’image de la Henriade, des « épopées de collège » empruntées : à l'antiquité grecque, comme Achille à Scyros, Homère, Alexandre; à la Bible, comme Agar et Ismaël ; au moyen âge, comme Charles Martel, Charlemagne, la Bataille d'Hastings, ete. — Les seules poésies de cette génération littéraire qui se lisent encore avec quelque agrément appartiennent à des genres secondaires où la poésie n’est, en quelque sorte, qu’une prose cadencée et ornée : des épitres etdes satires de Marie Joseph Chénier (1764-1811), des contes d’Andrieux (1759-1833), des fables d’Arnault (1766-1834).

La tragédie, conçue et exécutée sur le modèle de celle de Voltaire, verse indifféremment dans le même moule des sujets empruntés à toutes les époques de la légende et de l'histoire. Les œuvres qui en sortent se ressemblent toutes : ce sont des tirades oratoires garnies de rimes, débitées par

1. Son poëme de l'Homme des champs est de 1800, celui de la Pilié de 1802.