La Révolution française et ses détracteurs d'aujourd'hui

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humaine, c'est-à-dire, suivant la définition du temps, « un être qui a le désir du bonheur et la faculté de raisonner », rien de plus et rien d'autre. On a taillésur ce patron plusieurs millions d'êtres absolument semblables entre eux, puis, par une seconde simplification aussi énorme que la première, on les a supposés tous indépendants, tous égaux, sans passé, sans parents, sans engagements, Sans traditions, sans habitudes, comme autant d'unités arithmétiques, toutes séparables, toutes équivalentes, et l’on a imaginé que, rassemblés pour la première fois, ils traitaient ensemble pour la première fois. De la nature qu'on‘leur à supposée et de la situation qu’on leur a faite, on n’a pas eu de peine à déduire leurs intérèts, leurs volontés et leur contrat. Mais, de ce que le contrat leur convient, il ne s'ensuit pas qu'il convienne à d’autres. Au contraire, il s’ensuit qu’il ne convient pas à d'autres, et la disconvenance sera extrème si on l’impose à un peuple vivant; car elle aura pour mesure l'immensité de la distance qui sépare une abstraction creuse, un fantôme philosophique, un simulacre vide et sans substance, de l'homme réel et complet (1).

On n’a pas exprimé, depuis, la même idée avec plus de force et de précision. Et je conçois que le lecteur qui ne sait pas bien l’histoire de la Constituante, qui n’a pas son œuvre présente à l'esprit, ni des opinions républicaines assez solides et averties pour se défier de pareilles affirmations et se promettre de les contrôler, se laisse prendre. Il n’y a là, pourtant, qu'un beau morceau d’éloquence réactionnaire. La Constituante n’a pas, un instant,

{1) La Révolution, t. I, pp. 183-184,

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