La Serbie

‘fllme Année. — No 30

RÉDACTION et ADMINISTRATION @, rue du XXXI Décembre - Genève ‘Téjéphone 14.05

JOURNAL POLITIQU

Es:

Paraissant tous les Samedis

Rédacteur en chef :

Dr Lazare MARCOVITCH, | professeur à l'Université de Belgrade

VERS LA VICTOIRE!

L'avance victorieuse des armées alliées en France promet.les plus heureux résultats. La

marche des Allemands « nach Paris » s'est.

‘transformée, d’un coup, en une retraite impo. sée, symbole manifeste du fléchissement de la force combative de l'ennemi. L'offensive allemande, déclanchée le 21 mars, se termine ainsi par une débâcle dont l'importance politique dépasse de beaucoup les conséquences stratégiques immédiates. Lors des offensives alliées en 1916 et 1917, les Allemands s'étaient moqués du peu de résultat obtenu ; en 1918, c'est avec des sentiments bien différents que la presse et l'opinion publique d'outre Rhin accueillent les nouvelles des victoires de Foch. Les alliés, cependant, sans s’adonner à un optimisme excessif, comptent avec de nouveaux combats, encore plus durs, plus sanglants, mais leur conviction est inébranlable que tous ces combats auront lieu dorénavant sous le signe de la victoire. Cette victoire du Droit sur l'injustice, de la Vérité sur le mensonge, de l'Idée sur la matière et la force brutale, apportera au monde éprouvé la paix et la sécurité. Elle va inaugurer une ère nouvelle dans la vie de tous les peuples. Elle marquera surtout la fin du martyre serbe.

De cette victoire finale, les Serbes n'ont jamais douté. Pendant des siècles entiers, le peuple serbe subissait le joug ottoman, mais sa foi dans l'avenir et la résurrection ne s'éteignaient pas. La conscience nationale très forte déjà au Moyen-Age, développée au contact des deux cultures voisinantes, orientale et occidentale, a pu résister à toutes les attaques de la barbarie turque. Le soulèvement de Karageorges en 1804 a trouvé le peuple serbe, malgré les quatre siècles d'esclavagé, prêt à reprendre la lutte pour le bien suprême, pour la liberté nationale. Pendant tout le 19e siècle, les Serbes, seuls ou avec l'appui de la Russie, font tous leurs efforts pour se dégager de l'étreinte turque et ne pas tomber dans l'esclavage germano-magyar. Serrés entre la Turquie et l'Autriche, les Serbes parviennent à peine à respirer librement. Une lutte presque ininterrompue entre deux gros dangers, une oscillation périlleuse entre la Scylla turque et la Charybde autrichienne, telle est la caractéristique de toute l'histoire serbe moderne. Lorsque, dans la seconde moitié du 19 siècle, le déclin progressif de la puissance ottomane commence à réveiller dans l'âme des Serbes les plus grands espoirs, les Germano-Magyars réussissent à remplacer les Turcs par les Bulgares et à poster ces derniers à l'affût contre la Serbie. Le peuple bulgare, d'origine touranienne maïs € slavisé » par les signes extérieurs, surtout par la langue, se montra un instrument très docile entre les mains _ austro-magyares. Les psychologues auront à examiner, après la guerre, par quels moyens on a pu parvenir à détourner le peuple bulgare du seul chemin qu'il aurait dû prendre, celui de la solidarité balkanique. Les Bulgares, attelés au char germanique, en 1913 et 1915, se ruèrent sur la Serbie pour aplanir la route au conquérant germain. Le peuple serbe a dü plier pour le moment sous le poids de la triple attaque, mais sa volonté de vivre et de s'opposer à tout esclavage n'en a été qu'augmentée. Les victoires alliées en France sont pour la Serbie le premier signe de l'aurore.

Mais, comme nous l'avons exposé souvent à cet endroit même, il n'y a de salut, ni pour le peuple serbe, ni pour l’Europe entière, sans la victoire intégrale. Le but suprême des Alliés, c'est d'écarter pour toujours le péril allemand,

et ce péril ne sera écarté aussi longtemps que sa source vivante, le militarisme prussien, ne

sera brisé et anéanti. Dans le domaine politi-. que, la suppression du militarisme allemand

signifie l’affranchissement des peuples slaves et latins d'un Etat usurpateur, basé sur le militarisme et la dynastie. La victoire des armes alliées doit être la victoire du principe de nationalité, la consécration du droit de chaque peuple de disposer de son sort. La Serbie ne tient pas seulement à sa restauration et son indépendance. Elle lutte pour l'affranchissement de toute la nation yougoslave. Les sacrifices faits par le peuple serbe pour la victoire du Droit sur la Force, ne sont pas à récompenser, mais à couronner par la réalisation du haut idéal auquel tendent les sentiments et les

aspirations de tous les Serbes, Croates et Slo-

vènes. Tous les Yougoslaves attendent de la Victoire, la résurrection de la Serbie et la réalisation de l'union politique yougoslave avec la Serbie et autour de la Serbie. C'est à cet idéal qu'ils sont prêts à sacrifier les dernières forces qui leur restent. C'est avec de tels sentiments que nous suivons la marche héroïque des armées alliées vers la Victoire.

Une lettre de M. V. Marinkovitch

Les Times» du 5 soût publie La lettre suivante : Monsieur,

Dans le «Times» de ce Jour, vous avez publié l'extrait d'un article de la «Gazetie da Cologne» disant que le nombre des hommes politiques serbes qui désirent la paix va toujours augmentant et que le gouvernement serbe à Corfou est forcé de tenir compte de plus en plus de la résistance que rencontre la politique de la continuation de la guerre.

Cette asserlion du journal allemand est en-

lièrement fausse. Le gouvernement serbe ne rencontre aucune opposition dans le peuple pour la continuation de la guerre. Comme député, je lais partie de l'opposition au ‘gouvernement serbe actuel, èt comme tel Je crois pouvoir déclarer, sans crainte d'être démenti par aucun de mes collègues, que ce que l'opposition — à lagquiellle fait allusion le journal allemand — reproche à lort ou à raison, ce n'est pas le fait qu'il continue la guerre, c'est da ne pas la conduire assez énergiquement, c'est-à-dire de ne pas être en état ‘de concentrer et d'employer dans la lutte toutes, les forces miorales et matériellels: dont la Serbie peut disposer. Dans tout le peupla serbe, il m'y à pas un seul homme politique: responsable qui aurait accepté pour son pays n'‘imporle quelle paix avant Îa victoire des Alliés sur l’Allemangne. Et ce n'est pas sculemient le cas pour es hemimes politiques serbes qui se trouvent en liberté. C'est aussi vrai pour les trente el quelques :dépuiés serbes, appartenant presque fous À l'opposition qui se trouvent dans la Serbie occupée, et cela malgré toules les souffrances auxquelles est soumis le peuple serbe dans notre malheureux pays. Nous connaissons {rop bien nos ennemis pour qu'ils puissent espérer de pouvoir nous ({romper.

La fausse assertion du journal ‘allemand n'a été probablement lancée que dans le but d'ébranlex le moral des populations yougoslaves dans PAutriche-Hongrie. Et c'est pourquoi je .crois mécessaire de la démentir, ce démenti fût-il superflu pour le publie anglais.

Dr V. MARINKOVITCH. Lake View, Wiood-rond, Hindheab, Surrey.

July 25.

Hi est utile d'ajouter que M. Marincovitch est le chef du parti progressisie ou conservateur, auquel appartenait aussi M. Péritch avant 1911, avant la constitution de son propre parti conservateur, dont nous avions parlé dans notre dernier numéro, |

) HEBDOMADAIRE

Genève, Samedi 17 Août 1918

Suisse... 6fr. — par an

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Autres pays. Ofr.— »

Les Bulgares tels qu'ils ne sont pas

Le mirage bulgare est un phénomène auquel nous altachons une certaine importance pour autant qu'il repose sur l'ignorance du véritable caractère de la-politique de la Bulgarie.

""#n Anglais, M. Steed, à bien rappelé, l'autre

jour, en parlant de l'Autriche, que l'ignorance ailiée était une des forces principales qui contribuent à la conservation de la monarchie des Habsbourg. On peut dire la-même chose de la Bulgarie qui a poussé à tel point sa propagande que, pour affaiblir l'effet des témoignages bulgares, reposant sur les sources bulgares, les Bulgares sont arrivés à s'adresser maintenant aux témoignages étrangers, inspirés par leur propagande ou provenant de l'ignorance de la situation réelle en Bulgarie. Un exemple amusant de cette psychologie extraordinaire vient d'être fourni par le centre bulgare à Lausanne, qui publie, sous les auspices de M. Jean Gabrys et de ses « Annales des nationalités » tous les produits de la propagande bulgare. Nous fai-

“sons allusion. au livre récent de M. Mikoff sur

lés jugements écrangers sur la Bulgarie.

Nos lecteurs connaissent l'œuvre magistrale de M. le D' V. Kuhne : « Les Bulgares peints par eux-mêmes » (Genève, 1917). C’est un recueil imposant d'extraits des journaux bulgares, une collection très riche de documents authentiques sur la psychologie générale et spéciale du peuple bulgare. Avec un sèle louable,

re)

Les Bulgares

ALa grande manifestation des Genevois du 22 mai 1917, à la salle de la Réformation, contre le recrutement forcé des Serbes n’a pas laissé les Bulgares indifiérents. L'Agence Balkanique assurait que M. Radoslavoff, après la lecture du rapport sur cette assemblée aurait écrit de sa propre main : « Au dossier ! Nous faisons la guerre et l'opinion des Genevois nous importe peu ! ». En réalité la protestation énergique des citoyens suisses contre une mesure monstrueuse des autorités bulgares avait produit à Sofia une impression des plus pénibles. Genève et Lausanne, loin d’être indifférents aux Bulgares, représentent pour la propagande bulgare un forum particulièrement important. On pouvait donc espérer que les autorités bulgares en finiraient avec les procédés indignes qui ont motivé la protestation suisse, et qu'ils tâcheraient de réparer, dans la mesure du possible, le mal déjà commis. Au lieu de cela, voici ce que les petits Prussiens ont fait : Avec une ardeur redoublée, ils ont continué dans la Serbie occupée l’œuvre de destruction et de dénationalisation de tout ce qui est serbe, exposant la population à des véritables tortures physiques et morales.

La conduite bulgare a été tellement monstrueuse qu’elle a provoqué en AutricheHongrie même les plus vives protestations, surtout dans les milieux slaves. Je rappelle le témoignage de Oskar Jaszi dans le « Vilag » du 9 décembre 1917 sur le régime « excessivement impitoyable » bulgare. Je rappelle aussi la protestation du député Ribar au parlement autrichien, le 28 juin 1917 et le témoignage d’un officier hongrois, Ador Mandi, dans le journal magyar « Magyar Figelyo » du 16 décembre 1917. Je cite les informations du journal croate les « Primorske Novine » (Fiume) du 4 mai, reproduites aussi par la «Freie Zeitung » de Berne et « La Serbie » à Genève. Le journal croate indigné constatait entre autres que les soldats bulgares jouaient au football avec les têtes des Serbes assassinés, à Pétrovats! Deux interpellations furent adressées au sujet des atrocités bulgares en Serbie occupée, toutes les deux en Autriche-Hongrie, l’une à la diète de Croatie, à Zagreb, le 18 mars 1918, et

M. Kuhne s’est appliqué à rechercher l'essence du problème bulgare et il n’a ménagé ni son temps ni ses forces dans la récherche de la vérité. Son livre est devenu une sorte de bré-

‘viaire pour tout homme politique qui s'intéresse

aux Balkans. L'étude de M. Kuhne est désastreuse pour les Bulgares, pour ce simple motif qu’elle constate la vérité, une vérité établie par les témoignages bulgares, mais une vérité européenne et non pas bulgare! Pourtant, après beaucoup de réflexions, les Bulgares ont trouvé un. moyen pour affaiblir l'effet du livre de M. Kuhne. Un Bulgare, M. Mikofÿ, a eu l'idée ingénieuse d’opposer aux témoignages bulgeres les témoignages étrangers. C’est ainsi qu'il a ramassé loute une collection de déclarations faites auparavant par des Français, Anglais, Italiens ou bien Américains ! Et avec un orgueil bien mérité il se tourne devant le public et lui dit: «Ne croyez pas aux mensonges contenus dans le livre du D' Kuhne. Ce sont les Bulgares qui ont fourni au D' Kuhneles matériaux, mais les Bulgares ne brillent pas par l'amour de la vérité. Lisez plutôt ce que les étrangers ont dit de nous et vous verrez les Bulgares tels qu’ils sont. Les Bulgares peints par eux-mêmes, ce ne sont pas les vrais Bulgares !».

Au public maintenant de choisir, selon son 1u p goûl !

contre les Genevois

l'autre, au parlement autrichien, à Vienne, le 46 juillet 1918, cette dernière signée par les deux clubs parlementaires, yougoslave et tchèque. Les interpellants demandaient au gouvernement austro-hongrois d’intervenir auprès du gouvernement royal de Bulgarie en vue de faire cesser les massacres des Serbes. Et le parlement serbe, à Corfou, dans sa séance du 12 avril 1918, après avoir entendu l'exposé du ministre de l'Intérieur sur les procédés bulgares en Serbie occupée, avait voté un ordre du jour disant : « En s’inclinant avec un respect plein de piété devant l'ombre des victimes innocentes, la Skoupchtina attire l'attention du monde civilisé entier sur le martyre d’une race héroïque qu’on se hâte d’exterminer d’une façon systématique. La Skoupchtina adresse l'expression de sa profonde condoléance aux familles afligées et endolories, ainsi que l’expression de sa piété au souvenir des victimes tombées et elle espère que le monde entier, animé de sentiments humanitaires, accourra au secours de la population serbe ».

Voici quel est le régime bulgare d’après les témoignages et les preuves provenant des pays ennemis mêmes ! Voici, comment les Bulgares ont répondu à l’appel généreux du pasteur Frank Thomas, les conjurant de cesser de tels procédés et de se rappeler qu'ils avaient eux-aussi une âme! Et quelle âme! Pourtant les Bulgares n'ont pas tout à fait dédaigné les voix puissantes de Bernard Bouvier, Marc Péter, de Rabours, Frank Thomas, O. Rapin, Benjamin Vallotton, Wagnière et d’autres illustres représentants de l’'Helvétie démocratique et morale, Le gouvernement bulgare avait décidé d'envoyer en Suisse des émissaires nombreux, de les doter largement de moyens matériels et de leur dire : «Ecrivez des brochures, répandez-les partout, n’épargnez rien et répétez toujours, à chaque occasion, que les territoires occupés et administrés actuellement par l’armée bulgare sont habités par des Bulgares purs, ue ces territoires, qu'ils se trouvent à l’est ou à l’ouest, au nord ou au sud, constituent le foyer et le centre du bulgarisme, que les intérêts vitaux de la Bulgarie sont engagés précisément dans ce coin-là et que la