La Serbie

Bulgarie, en conservant pour elle tous ces territoires, ne fait qu'achever son «unité » nationale !». De tels arguments dans la pensée des dirigeants de Solia devaient suflire à justifier l’extermination systématique et prolongée des Serbes, poursuivie, depuis, encore plus énergiquement dans la Serbie occupée.

On doit constater non sans une certaine surprise que les propagandistes bulgares ont obtenu quelques succès dans leurs'tentatives de détourner l'attention du public européen de ce que les Bulgares font en Serbie, et d'engager des discussions interminables au sujet du « caractère ethnique » des territoires en question. Regardons seulement les éditions de la bibliothèque dite « balkanique » mais en réalité bulgare, publiée sous les auspices de Jean Gabrys et Charles Rivet à Lausanne ! Un produit de cette propagande, c’est aussi le livre d'un certain D. Micheff, consacré tux Genevois et aux Lausannois, à propos de leurs manifestations publiques en faveur des Serbes’. Si j'en «parle, ce n’est pas pour défendre les honorables personnages suisses pris à partie par ce sieur bulgare. Ce serait attribuer trop d'importance aux écrits de ce genre, lendancieux sous lous les rapports et ayant pour seul but d'embrouiller les choses et de détourner les esprits des questions principales. Mais le livre de Michelf est très caractéristique des méthodes bu'gares, et montre leurs ellorts pour placer la discussion sur un autre terrain, où les Genevois et les Lausannois moins avertis et moins intéressés, ne peuvent pas les suivre. Les citoyens suisses protestent contre lexterminalion des Serbes et les propagandistes bulgares leur répondent : Eles-vous bien sûrs que ce sont des Serbes? Nous vous donnerons des preuves que ce sont des Bulgares ! Et ils commencent à vous citer les livres dont la valeur est depuis longtemps annulée par les recherches plus objectives et plus scientifiques.

Que voulez-vous qu'on réponde à une telle impudence ? D'un côté, on extermine les Serbes et de l'autre, on vous assure que ce sont des Bulgares !

On sait qu'à Genève et à Lausanne les citoyens suisses avaient protesté contre le recrutement forcé des Serbes par les autorités bulgares et aussi contre tous -les procédés indignes auxquels les Bulgares se livrent en Serbie occupée. M. Michelf, pour persuader les Suisses qu’ils avaient eu tort de protester, aurait dù prouver: 1° Que les Bulgares n’ont pas recruté les Serbes. 2° Que les procédés bulgares en Serbie occupée ne sont pas tels que les orateurs' genevois et lausannois les ont dépeints. Toute la question est là. Et que dit M. Michel là-dessus? Des procedés bulgares en Serbie occupée, pas un mot! ! D. Michel : La Serbie el la Bulgarie devant l'opinion publique, à propos des protestations publiques de Genève et de Lausanne; Berne 1918, Librairie Académique,

LICE GUAM 4 T ru DRE PRÉ: = NRALS SE ET mo om A

Les faits exposés par M. Alexis Francois, sur la foi des documents bulgares, M. Micheff ne pouvait pas les démentir et il n’en parle pas. Sur ce point capital qui a provoqué les protestations suisses, M. Micheff se lait prudemment et totalement.

Cela seul suflirait à caractériser 50h livre

et démontrer l'injustice de ces reproches aux orateurs de Genève et de Lausarine. Mais M. Michel, s’il n’a pas osé aborder le traitement des Serbes en général, a eu le courage de parler du recrutement des Serbes. Sachant que les orateurs suisses, avant de protester se trouvaient en possession de preuves formelles, des convocations régulières de tous les Serbes en âge militaire, devant les commissions bulgares de recrutement, M. Michel! préfère jouer au plus malin. Il affirme en effet qu'il ne s'agissait pas du recrutement mais de l'examen médical « dans l'intérêt des Serbes mêmes, pour soustraire la population mâle capable de tenir le fusil aux tentations » | Quel mensonge ! M. Micheff semble ignorer que le ministre de Bulgarie à Berne, M. Simon Radell, a déclaré formellement dans le « Journal de Genève» du 28 mars 1917, que le gouvernement bulgare a en

elfet ordonné le recrutement dans la Serbie:

orientale, alléguant que les habitants de ces régions élaient des Bulgares et non des Serbes. Les Bulgares les ayant délivrés il est naturel, ajoutait le ministre bulgare en Suisse, de 4%es recruter maintenant! Mais il y a un autre document formel, authentique, publié par le professeur Reiss, dans la « Gazette de Lausanne » et reproduit par « La Serbie» du 7 octobre 1917. Ce document émanant du ministère de la Guerre bulgare et portant le numéro 463, a trait aux recrues de la Serbie orientale. Pour prouver ce que vaut l'assurance d’un M. Michelf, nous tenons à la disposition de tout honnête homme la photographie originale d’un Serbe de Serbie, en uniforme bulgare. Le cas de ce Serbe est particulièrement monstrueux, parce que les Bulgares ont tué d’abord son père comme Serbe dangereux, et ensuite ont enrûlé le fils dans l’armée bulgare |

Tels sont les faits, le peu de faits connus jusqu’à présent. Toute la vérité sure régime bulgare ne sera connue que plus tard, lorsque la Serbie sera délivrée. M. Micheff sait fort bien à quelies horreurs la population serbe est exposée et il évite d'en parler. Dans le livre qu’il a consacré aux protestations de Genève et de Lausanne, il a essayé de persuader les lecteurs que les Bulgares n'ont pas recruté les Serbes. C’est ce qu'il a fait dans les premières pages du livre. Tout le reste du livre, plus des cinq sixiémes tend à prouver que les Bulgares sont un peuple civilisé, généreux, noble, doux et démocratique, en un mot un peuple parfait ! Les Serbes, au contraire, seraient, d'après M. Michel, méchants, traitres, des impérialistes, parjures, sans culture, des agresseurs el des trouble-paix dans les Balkans !

LA SERBIE

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M. Micheff et ses compatriotes peuvent se rassurer. Nous n'admetions aucune comparaison avec le peuple des Bulgares. Les Serbes souhaitent aux Bulgares de rester tels qu'ils sont (Voir le « Baïa Gagné», «la Psychologie du peuple bulgare», par M. T. Paroff, et « Les Bulgares peints par eux-mêmes », par M. le D' V. Kuhne). La seule chose qu'ils leurs demandent, c’est de les laisser en paix. Tant que le sang des victimes serbes innocentes rougira les mains bulgares, toute comparaison et loule discussion serbe avec les Bulgares seraient un blasphème. :

Une tentative de rapprochement bulgare ?

Le « Préporels », l'organe oficieux du gouvernement de M. Malinoff, vient de publier, dans le numéro du 23 juillet, un arlicle caractéristique que nous reproduisons à litre d'in-

formation. 11 serait trop long de réfuten point par point les,

arguments noloirement faux exposés dans cet articlè, qui n'est qu'un chantage à l'adresse de l'Allemagne et des Alliés à la fois, selon les pratiques habituelles bulgares.

« Les hommes d'Etat français, écrit Le & Préporets », étaient de simples spectateurs el se frottatent les mains avec satisfaction. Îls jouissaient d’un spectacle avec le même contentement et le même enivrement ressentis par les foules romaines lorsque, pour les amuser on jelait des esclaves en pälure aux bêtes féroces La presse française triomphait clors, couvrait de lauriers les vainqueurs, après la leçon infligée à la Bulgarie qui aspiraîit à l'hégémonie dans les Balkans.

« Au début de la guerre mondile, les Français et l'Entente en général, avaient oublié ce moment si tragique pour nous, el qui n'a pas peu contribué à la décision de la Bulgarie de prendre parti du côlé des alliés. C’est aussi le moment où la France aurait pu se souvenir que les peuples balkaniques sont quelque chose à part...

&« C'était, disons-nous, le dernier moment. Elle aurait pu aubaravant employer son influence en faveur de l'exécution du trailé (on pense au traité serbo-bulgare de 1912) — ce qui aurait eu pour effet d'écarter la guerre entre les alliés. Mais la France ni alors, ni plus tard n'a rien fait pour satisfaire la Bulgarie. Elle à ouvertement pris parti pour ses bourreaux. À ce moment-là, elle était encore en état de sauver le principe QC les Balkans aux peuples balkaniques », qu'elle regrette maintenant hupocrilement.

«€ Mais alors la France a fait sienne la thèse serbo-grecque : Les Balkans aux peuples balkaniques, sans et contre la Bulgarie. En 1913, après le traité de Bucarest, le principe & les Balkans aux peuples balkaniques » signifiait élernel esclavage du peuple bulgare. Alors et plus tard au lieu de nous insulter la presse française aurait dû réfléchir à temps.

& Pour ces raisons, les Français soutiennent encore aujeurd’hui la thèse serbo-grecque, que les Balkans constituent quelque chose de propre, qu'il faut établir l'équilibre dans les Balkans.

€ Si c’est là la pensée de la presse française, et à tout prendre nous avons loul lieu de le croire — nous devons insister sur le fait que le molif direct de la guerre mondiale a

élé le traité de Bucarest de 1913 ; que la Bulgarie ne veut |

pas une seconde fois être abandonnée entre les mains de ses voisins envieux ; que la péninsule balkanique, au point de vue politique, est étroitement liée à l'Europe et ne contient rien qui n'en fasse partie. Ÿ

Un portrait de Radoslavoff

Le « Preporets », l'organe du nouveau ministre-président bulgare, M. Malinoff, à tracé dans son numéro du 18 juillet le tableau suivant de la personnalité et du régime du ministre-président précédent, M. Radaslavoff:

« Le gouvernement de Radoslavoff étail la maison d'un déséquilibré Les ministres, ses collègues, se contentai:nt de I gloire d’être ministres. Ils ne connaissaient guère les affaires d'Etat. Radoslavoif ne leur communiquait rien. ils n’osaient rien lui demander et apprenaient lout par les journaux. A leur propre honte et à la

Samedi 17 Août 1918

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honte de la Bulgarie, c'est bien la vérité, Du reste Radosiavoff lui-même ne soc cupail absolument de rien. Sa politique envers les alliés consistait à exéculer toujours ce “qu'on lui demandait. En réalité il ny avat pas de gouvernement depuis trois ans et cest ce qui explique la Complicalion des relations avec les alliés au sujet du ravitaillement, des vêlemikents ke d'autres questions vitales. Comme il ny avait pas de gouvernement, point de principes directeurs; ce qui existait 6lail né buleux, informe el enfantin. C'esl aing; que, par exemple, on ne demandait pas l’exéculion des contrais existants, leur ça. ractère sacré n'était pas respeclé, mais on marchandait en vue d'obtenir un ac cord et cest ce qui a amené l’anarchie et le désaccord.

IL n’est pas vrai que les allés soutenaient Radoslavoff. Au contraire el confidentieilement äüls disaient à beaucoup d'entre nous : « N’avez-vous pas un. homme plus intelligent? » Radoslavolf $e prétend intelligent, mais il ne l’est pas assez. Toute sa vie, il n'a pas su ce que

Cest que l'intelligence. Nos alliés se sont —

rendus compte qu'avec Radoslavoff ils perdraïent tout le soutien qu'ils avaient en notre peuple et west pour cette raison ‘qu'on les a consultés au sujet de sa démission. Je n'ai pas le temps de lire les « Narodni Prava », mais jai appris que Radoslavoff s’est vanté d’avoir créé l'alliance et que, sous son régime, l'administration élail excellente. Aucune de cas deux assertions n’est exacte. L'alliance fut conclue une nuit dans la maison de M. Tontcheff par les libéraux qui n’ont jamais été ministres et M. Radoslavoff ignoraül tout ceci, Même après avoir accepté le pouvoir, il a continué à lout ignorer; il fut appelé simplement lorsque Lout était prêl. Personne ne voyait en Lui un homme intelligent, on ne savait qu'une chose: Cest quil était prêt à devenir lout ce que lon voudrait, pourvu qu'on lui permetle de piller la Bulgarie avec Ses apaches...

L'héritage laissé par le cabinet libéral est l’anarchie dans lEtal. Rien n’est organisé. tout est embrouillé.

Pensez donc. nous sommes en guerre avec la Roumanie et nous n’avons pas de lraité avec nos alliés. On dirait que nous Sommes des vassaux et que, dès que nous sommes invités à faire la guerre, nous devons marcher.

Ses collègues lui reprochent de n'avoir pas conclu de traité. Mais, Messieurs, pourquoi n’avez-vous pas démissionné pour empêcher Radoslavoff de prendre des engagemients contre la nation, ameulant ainsi le peuple. contre les alliés? Dans nos finances, il y a un fait anormal: nous avons

des centaines de millions de dettes fic-

lives pour lesquelles il n’y a pas eu un centime de versé; de plus nous payons d'énormes intérêts. En ee qui concerne l'armement, il en ‘a èté question au commencement: depuis tout est resté en suspens… ;

J'ai failli oublié quelque chose. Radoslavoff est le plus grand menteur qu’on ait jamais vu »

D'autre part, le « Mir» du 29 juillet annonce que Pami de M. Radoslavoff et son aide principal, Ralcho Kosseff, ministre plénipotentiaire et ministre-adjoint au ministère des affaires étrangères à Sofia, est déjà arrêté sous l'inculpation d'abus de pouvoir et du détournement d’une somme, de 2.000.000 de francs. Il est traduit devant le conseil de guerre «et son procès doit commencer prochainement.

Jolie compagnie, en effet!

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== FEUILLETON

LE MARTYRE DE LA SERBIE par Benjamin VALLOTTON

e

On a beau jeter la vérité au fond du puits, combler ce puils de mensonges el de calomnäes, placer lout autour baïounettes et fils de fer barbelés, le temps vient ‘où la voix que l'on souhaitait élouffer se fail entendre, d'aulant plus impressionnante qu'elle est plus faible el comme un écho-de la tombe.

Durant de longs miois on n’a rien su de la Serbie sauf qu'ella souffrait. Les vainqueurs tenaïent leur victime à la gorge; mais ül y avait ‘tant d’espions, tant de gardiens, tant de barrières dressées, tel cela se passait si loin, 1 creux des gorges sauvages, que la rumeur de la lue n’arrivait aux neutres que sous la orme d'une plainte indistincte.

Le jwemier, fin d'octobre 1917, à peine échappé de la prison (où il faillit mourir, le député serbe (lresitclh Pavitchitch, de Dalmatie, dénonça jen plein Parlement autrichien les faits dont äl avait été le témioin. Sa voix lavait un tel accent de (sincérité, son réquisiloire eut quelque chose d:1si vengeur, qu'on écouta dans un silencg profond, avec mue émotion qui fl ljaillir des larmes des bien des yeux.

« Dès que la guerre éclala, on $e mit at travail pour extermincr les patriotes yougoslaves. Dans le pays tout entier ion n’entendit que des gémissements et des Cris da détresse,

« Tout ce qu'il y avait d'hommes nalionalement éveillés, conscients et honnêtes. fut arrêté, confiné, jelé dans les pirsons, ruiné, condamné; exéculé. Tout ce qui était trop

jeune ou trop vieux fut destiné à mhourir de faim let le

reste intimidé. démoralisé, déshonoré. »

En Dalmatie, en Istrie, en Carnüole, de laveu d'un juge, cinq mille personnes furent arrêtées, d'autres milliers en Bosnie-Herzégovine, en Slavonie, en Hongrie méridionale. Lies scènes ‘qui sé déroulèrent dans las camps de Moslar, de. Doboj, d'Arad; dépassent out ee que lon peut imaginer dans l'horrible. À Mostar, livrés à une brute sanguinaire, le geôlier Gaspar Scholier, les déportés dormaient dans un souterrain sur ‘le ‘sol, pêle-mêle avec des voleurs et des brigands. Pour un rien, on, les frappait au visage à coups de bâton? Plus dun, en une seule nuit, vil blanchir ses cheveux de frayeur. Rista Radutovitch, rédacteur du « Naroï » el le prêtre Tichy moururent des suites de leurs blessures après une effroyable agonie. Etre choisi comme otage équivalait à une condamnation à mort. Des centaines de prisonniers périrent,

A Arad, furent entassés, dans les casemates infectées de poux @l de punaises, .des milliers die cadavres vivants. Le typhus exanthémalique exerça ses ravages. « Lorsque les jours froids arrivèrent, on déshabilla les morts pour habiller ceux qui élaïent quasi nus Souvent les morts et les vivants élañent couchés les uns à côté des aultres pendant toute la nuit. Il y eut aussi des malades auxquels da fièvre faisait perdre connaissance el qui se blottissaïent fn un coin dans la paille; ce m’esi que deux ioù trois jours plus tard que lodeur cadavérique décelait leur présence. »

A Arad seulement, on évalue ;le nombre des morts \ ?

de troïs à quatre mille. Et beaucoup moururent après letr libération. . EE voici que deux députés socialistes serbes, venus à Sbockhiolm pour la conférence, rédigent un manifeste adressé au mende, qui est bien plutôt un appel au secours un Cri de désespoir. Témoins durant près de trois ans de lexterminaläon du peuple serbe, MM. Popovitch et Kalslérovilch dénoncent les bourreaux en des pages qui ramènent aux heures les plus sinistres de lhisLoire humaine C'est une confirmalion et une aggravalien des faits avancés par le député dalmate TresitohPavitchitch. | En aulomne 1915. quand les légions allemandes commandées par Mackensen franchissent le Danube, la Serbie est à la fais «un cimetière ‘et un hôpital. Sans égards, cn réquisilionne, on pille, on déménage tout ce qui 5€ mange, Toul ce qui a une valeur pécuniaire. La population est réduite à Ja plus noire misère. Hongrois et Autrichiens poursuivent l'œuvre si bien commencée; 150.000 civils sont. déportés. Comme il s’agit de larir les sources du travail, on $’empare des machines, on Saisil 1es chevaux, les bœufs des paysans; des forêts DRM d'une valeur de plusieurs millions, sont abattus jusqu'au ‘dernier arbre, les, vergers .(sciés; la monnaie serbt dépréciée par ordre de lautorité, ne représente plus que da moilié de /sa valeur. Toutes des sociétés sont dissoutes, les imprimeries pillées et fermées. Aucun recours possible pour le Serbe, l'espion et le sous-officier austro-hongrois élant les maîtres infaillibles. Les droits élémentaires ne sont plus qu'un souvenir, et l'on arrête, enferme, Spolie, pend et fusille ‘sous les prétextes 165 plus fuliles. Hi 2, * pe « L'an dernier, les paysans de Raza, condamnés à l'in-

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