La Serbie

Samedi 17 Août 1918 — No 30 :

LA SERBIE

Un projet d'annexion

Le député allemand au Parlement de Vienne E.-V, Zenker qui, depuis plusieurs années, s’accupe beaucoup de la question yougoslave, a exprimé ses opinions, non seulement dans le Parlement, mais aussi dans les journaux. Tout dernièrement il a publié dans lofficiel _« Dresdener An-

‘zeiger » un article sur le problème yiougo-

slave. Bien entendu, M. Zenker, en sa qualité de bon Allemand, exclut les Slovènes de la Yougoslavie telle qu'il la conçoit, car ils barrent la route aux Germains. Nous reproduisons les principaux passages de cet article, d'après le journal croate «Obzor» du 24 juillet, de Zagreb:

« Politiquement parlant, la question you-

gsoslave est très simple. Il s’agit de savoir

s'il est possible de réunir environ 9 millions de Serbo-Croales, dont 6 millions wivent ‘dans les cadres de la monarchie austro-hiongroise, el le reste en Serbie el dans le Monténégro.

Il y a deux moyens de réunir les SerboCroates: dans Je cadre de la Monarchie ou dans un Etat. national indépendant à CTCET. i

Si, en politique, le sentiment, les préjugés el Les intérêts particuliers ne jouaient aucun rôle, la question yougoslave en effet n'existerait pas, la raison seule dicterait et les 33 millions ne wivraïient pas dans les deux royaumes nationaux. Il est cerlain que l'union souhaitée ‘si tardemment par les Croates et les Serbes, serait facilement réalisée par la réunion dela minorit éserbe et monténégrine à la imajorité du peuple qui vit dans notre monarchie.

Beaucoup de fautes (ont été commises dans la question yougoslave. Ce qu'il y a de plus étonnant cest que la monarchie danubienne n’a jamais voulu s'approprier la Serbie. et lorsqu'on se rendit finalement compte de la haule importance du problème, toutes les tentatives de réconciliation échouèrent par suite de la situation intérieure de la monarchie, provenant de son système dualiste, et aussi à caûse des tendances panslavistes (?) et russophiles qui se manifestaient en Serbie

Aujourd'hui, pour résoudre le problème yougoslave le terrain est de nouveau aplani. Tout le territoire yougoslave-serbo-croate se trouve entre les mains ‘de l’armée austro-hongroise victorieuse et pour une fois — peut-être la dernière — se présente l’occasion de réaliser Funion des Serbes et des Croates dans notre emipire; si nous ne la saisissons pas, l'union aura lieu ‘en dehors de nous el contre nous.

Dans notre monarchie, de même qu’en Allemagne, il y a peu de gens tpleiniement conscients de la haute importance de cette question. Je suis fermement convaincu qu'à la conclusion de la paix géné“ale il sera imipassible de passer outre ce problème, soit par les piètres procédés de la politique et de Ja diplomatie de jadis, soil par les grands discours : la solution définitive du problèmie serbo-croate doit être la pierre de touche de la paix durable. Pour nous, dans la monarchie

et en Allemagne, notre intérêt vital exige que cette question ne soit pas gésolue contre nous. Nous ne devrons pas faire appel au «jus gladii », mais aux intérêts généraux qui unissent les Serbes du royaume à la monarchie. Un coup d'œil sur la carte montre que la Serbie, par suite de sa situation, est forcée d’enlrer en relations avec la monarchie...

Les hommes d'Etat serbes savaient bien pourquoi ils demandaïent l'issue à la mer; il leur fallait sortir de la sphère de domination des puissances Centrales.

Mais la Serbie ne peut se frayer ce chemin qu'en mutilant la Monarchie, ce qui équivaut à l’anéantissement de celle-ci.

D'où il résulte que les causes du conflit austra-serbe sont très sérieuses, ce qui explique que ‘la routine diplomatique et la formule de Grey relative à un arbitrage waient pas pu l'écarter. On doit encore une fois insister là-dessus et il est temps de le faire, car, lorsque la guerre sera tenminée, le conflit ne sera pas liquidé, si on nélimine ses motifs naturels.

Quelle que soit l'impuissance de la Serbie. «lle suivra toujours la politique de Pachitch et ceci d'autant plus qu’elle sera amoindrie. Rien ne parle en faveur de la création d’un Etat dépourvu de toute raison d’être économique et il serait encore plus insensé de ressusciter le Monténégro, dont j'ai eu l’occasion d'étudier pendant la guerre tout le ridicule et limpuissance économique. La Serbie, groupée autour de Kossovo, aurait une existence économique aussi dure que le Monténégro, de sorte que, même réunie avec ce dernier, elle ne serait que le foyer des menées contre la Monarchie.

Le salut des Croates et Serbes esl dans leur union. Mais les réunir en dehors de la Monarchie et contre nous ce serait une solution contraire au bien-être de notre Etat, créé par la nature des choses, et par suite contraire au bon sens. »

Ensuite, envisageant l'union des Croales et des Serbes dans un Etat national souverain, l’auteur est d'avis que l'Autriche ne saurait souffrir une telle solution.

« Pour l'Allemagne également, cette si tuation serait insupportable, car le nouvel Etat créé aurait entre ses mains foules les clefs des portes d'Orient; les ports adriatiques et le chemin de fer de Constantinople se trouveraient sur le territoire de la grande Serbie. » |

Le « Manchester Guardian » et la Bulgarie :

Le « Manchester Guardian » du 12 juillet a publié un article sur les chances qu’il y aurait à détacher la Bulgarie de ses alliés :

« M. Malinoff, le nouveau premier ministre de Bulgarie, eu hâte de déclarer, et cela sans trop de politesse, que la Turquie n’a aucun droit à faire valoir contre la Bulgarie et que la Bulgarie ne cèdera pas

un pouce de territoire. Aussi longtemps que celte affaire ne sera pas réglée définitivement, il y aura un point faible dans l'alliance des Centraux, et aucun compromis ne peut le faire disparaître. Pour les Jeunes-Turcs, Andrinople, dont la sécurité ést menacée, est un lieu saint; pour les Bulgares, chaque portion de l'ancien territoire turc, sur laquelle ils ont pu mettre la main, est tout aussi sacré. La Bulgarie est le point faible ! Des journaux bulgares ont écrit : « Les Bulgares s’aperçoivent qu'ils ont fait un faux pas et se demandent maintenant pourquoi ils combattent » ; ou encore : « Nous ne pouvons comprendre pourquoi nous nous sommes battus contre les Russes et quel avantage pourrait avoir pour nous une alliance politique et économique avec les Empires Centraux. » Il serait certainement dangereux d'accorder trop de crédit à de pareils articles, mais néanmoins, il reste certain que là Bulgarie est le point faible de l'alliance ennemie, et c'est en même temps là que les puissances

de l'occident pourraient le mieux faire:

leurs aflaires. En eflet, déjà au commencement de la guerre, nous avons dit que la Mer Noire était une clé de la victoire. Maintenant tout le monde, et même ceux qui ont aidé à faire échouer l’entreprise de Gallipoli, sont de notre avis. Plus que jamais la Mer Noire est aujourd’hui une clé de la victoire. Quand les alliés arriveront à s’introduire dans la Mer Noire, tous les vastes desseins des Allemands et des Turcs contre l’Asie et les Indes s’effondreront d’un coup; nous serions alors en contact direct avec la Russie et nous aurions une base d’où l'on pourrait reconstituer le front oriental. Un chemin facile pour entrer dans la Mer Noire serait un compromis avec la Bulgarie. Commerit on pourrait y arriver, c’est là l'affaire des diplomates. Le résultat en vaudrait bien la peine. L'attention du peuple et celle du gouvernement doivent être fixées sur cette affaire ; il faut qu'on abandonne une fois pour toutes les utopies concernant une action en Sibérie. Les Etats-Unis d’Amérique pourraient rendre de grands services, puisqu'ils ne sont pas encore en guerre avec la Bulgarie. »

Il est vrai qu’en faisant des compromis, on arrive plus facilement à des buts posés. On y arrive un peu maquillé, mais on y arrive quand même. Sur ce point là nous sommes bien d'accord avec le grand organe démocratique de Manchester. Ce qui nous est moins compréhensible, c'est la légèreté avec laquelle on recommande les compromis avec une puissance dont la politique, au point de vue moral, est la plus reprochable. Quant aux objets du compromis avec la Bulgarie, nous supposons que le « Manchester Guardian » envisage le sacrifice des intérêts brilanniques. En ce qui concerne les droits de la Serbie, il n’appartient qu'au peuple serbe et à ses représentants de décider souverainement de cette question.

Une manifestation de solidarité des Polonais, Tohèques et Yougoslaves

Le « Slovenec », de Ljubjana, écrit dans son numéro du 30 juillet:

« Le 28 juillet a eu lieu à Teltch une fête en l'honneur du président de l'Union Tchèque T. Stanek, qui a été élu ciloyen d’'hionneur par les 85 communes de son arrondissement. Déjà la veille, le 27 juillet, les délégués des clubs slaves du parlement de Vienne étaient réunis à Zeletava, où ils avaient salué Slanek au nom de leurs clubs. La délégation étail composée du président du, Club Yougoslave, Dr Korosec. du Polonais comte Charbek, el des délégués de l'Union Tchèque, des députés Vacek, Mehura et du vice-président du Parlement Tusar. . Le 28 juillet, tout l’arrondissement de Teltch s’est réuni sur la place du marché principal de l'antique ville. IL y avait là environ 20.000 hommes. Stanek a été salué par les discours de plusieurs maires, des députés Kilofatch, Tusar, Stejskal, Vacek, Mehura (au nom des Slovaques) et des représentants des Yougoslaves et des Polonais. Le peuple a vivemknt acclamé les discours des deux représentants des peur ples frères et a lancé des fleurs à ceuxci. Les orateurs firent ressortir lalliance indisscluble entre les Yougoslaves «et les Tchèques et ils ont salué le fait que l’alliance avec les Polonais devenait chaque jour plus forte et plus profonde. Les orateurs tchèques ont déclaré au milieu des applaudissements frénéliques du peuple, applaudissements qui ont duré plusieurs minutes, qu'ils désirent vivre en étroite fraternité avec les Yougoslaves, ou mourir.

Le Dr Korosec a montré, dans son discours. le développement du peuple yougoslave qui a aujourd’hui, après lé sang versé et les souffrances des années de guerre, la plus ferme conviction que son unique salut est l'Etat yougoslave indépendant et libre. Les Yougoslaves poursuivront ce but sans compromis et sans prendre de chemins détaurnés. Nous apportons dans da nouvelle triple alliance des Tchèques, Yougoslaves et Polonais notre cœur et notre poing. |

Le comte Skarbek a déclaré qu’il est vrai qu'il ne peut pas parler au nom des cercles officiels polonais, mais qu'il peut parler au nom des millions du peuple polonais qui voient. dans l'alliance avec les Tchèques et les Yougoslaves l’avenir de la Pologne. Il ne faut pas juger Îles Polonais d’après les déclarations des chefs politiques précédents. Bientôt le peuple pallonais sera aussi uni avec les Yougoslaves et les Tchèques que nous le sommes nous ici aujourd’hui. 7 ! 1 :.

La fête s’est {ransfonmée en une imposante manifestalion nationale. »

Société Génevoise d'Edit. et d'Impr. — Genève

og

ternement par l'autorité militaire, ne répondirent pas à IA première sommation. Tous ces ‘pauvres gens furent l'usillés sans autre forme de procès, leurs maisons incendiées, leurs biens détruits, leurs parents internés. »

Mais il appartenait aux Bulgares. ces excellents élèves des Turcs. de battre tous les records. Le gendarme ne connaît que le bâton. De tribunaux, point, où du 1oins un seul, de création récente, à Nisch:!

« Les Serbes de la région occupée par les Bulgares

sont condamnés à un véritable esclavage, comparable à,

celui qu'ils subissaient il y a deux cents ans, sous le joug turc. En un grand nombre les Serbes qu'onine réussit pas À assassiner (en Serbie même sont transportés en Asie-Mineure. En vérité ces déportalions ne sont qu'un massacre en masse des Serbes, massacre pareil à celui organisé par Abdul-Hamid contre les Arméniens. » Poussés à bout, les paysans Se twévoltèrent au printemps 1917. La répression fut atroce. 20,000 individus, environ, furent mis à mort, hommes, femmes et enfants. Trente-six villages furent “déiruëts de fond en comble, la presque totalité de la poputation de Nisch (40004hommes environ) déportée. « Une partie a été conduite à Pirote en chemin de fer. Le reste à dû marcher à pied. Ils ne sont jamais revenus... » ‘ ny Et voilà! L'Allemagne étant encore très forte, on trouve assez généralement en pays neutre que le moment n’est [pas venu d'élaler ces horreurs. ‘’n Serait peut-être amené à Protéster au nom de l'humanité el ça on na sait pas trop OÙ Ça conduit. Sans compter qu'il y a déjà eu la Belgique, Îles. gaz asphyxiants, les noyades, des pays sauvageusement saccagés.. Sans doute, nous avons mis nolre signature au pied des conventions de la Haye. Cest vrai. C'est vrai. Mais ce n’est guère que dans cinquante Ans

que des spécialistes de l’histoire pourront discerner la vérité. En attendant, attendons. Et puis les neulres sont fatigués de la guerre. La paix! la paix !...

D’autres ajoutent: « C’est si loin, la Serbie. Est-ce bien vrai ce qu’on raconte? Ces témoins, ne les connaît pas! »

L'auteur de ces lignes a visité (les contrées du nord de la France, évacuées par les Allemands, alors que tout fumait encore. Le pays de la mort! Les arbres sciés, les puits souillés de cadavres d'animaux, Jes fermes, less hameaux, les villages, les villes: rasées, les châteaux de Ham et de Coucy détruits à la dynamile, des cimetières bouleversés et des femmes ten larmes. Toute une contrée, prospère, froidement assassinée La guerre « fraîchie et joyeuse ». Ïï

Si l’on a fait cela dans lé nord de la France, à soixante kilomètres de Paris, qu’a-t-on fait en Serbie, là-bas, tout Jà-bas ? \ |

Y aura-t-il un lâche pour nous dire: « Soyez prudents. Taisez-vous. Il vaut mieux dans les bergeries neutres, ne pas trop parler du loup. » ; in

Les Yougoslaves sur le front de Salonique

En général les Yougoslaves sont de beaux hiomimes, bien’“découplés, Ils m'ont rien de commun avec la plupart des Russes «che4 qui se reccnnaît le mélange asiatique. IIS campent à l'ombre de magnifiques châlaigniers. Le soleil de midi fape dur. Allongés: danf l'herbe, plusieurs font la sieste. D'autres jouent aux cartes ou chantemi des chansons de leur pays en s'accompagnant sur la {ambourilza Gorld ‘de mandoline) fabriquée par eux. Ils disent leur \Mésint ardent de chasser bientôt leurs cruels ennemis. Ils sont sûrs

da la victoire. «Une bonne cause comme la môtre peut-elle {péndir %» me (demande l'un d'eux {sur la ipoilrine duquel, À côlé ide l'étoile des Karageorge, brillent les médailles de bravourd serbe, russe et roumaine. Je demande d'où sont ces hommes! De Sarajevo en Bosnie, de Spalalo en Dalmatie, de Zagreb en Croatie, de Lika au mord de la Dalmatie, de Pantchevo dans lle Bamat, etc. Toutes les contrées serbes de domination ausirorhcrgroise sont représentées. Je Les interrogé sur ce qu'ils savent de leurs familles. Le regard de plus d'un se rémbrunif. « Mom/ père et mom frère ont 66 pendus», dit l'un. «Tous les miens; avec les enfants wont 616 déportés depuis le commencement de la guerre et Je n'ai aucune nouvelle d'eux», dit un autre. Unl'troisièmd sait que sa maison de paysan est brûlée et que toute sa; #amilld a pénis. Mais ces soldats-vengeurs rejettent ces tristes visions: ils me veulent penser qu'à la victoire et à la réalisation du rêve de leurs pères, la créalion de la grande patrie libre jdes Serbes, Slovènes et Croates|

Soldats et officiers sont liés d'une ‘ile amiié qui n'exclut nullement une discipline rigoureuse. Officiers et soldats m'ont-ils pas souffert le même martyre au service de la Grande Cause à Malgré leur sujétion, les Serbes d'Autriche-Hongrie n'ont. jamais perdu l'esprit démocratique de leurs frères libres de Serbie et ils le prouveront lorsque, enfin, la monarchie vermoulue sera par terre et lorsque, “le ses décombres, surgira la jeune et vaillant Yougoslavie qui, avant d'exister, se couvre de gloire.

Si Vous ceux, neutres et alliés, qui doutent encore de à nécessité du démembrement de l'Autriche-Hongrie, pouvaient conlempler ‘un goir ces Vougoslaves et les entendre chanter en chœur leurs beaux chanis, ils sentiraient la puissance ide la décision, enthousiaste qui les anime conte l'ennemi héréditaire ce leurs aspirations nationales et se diraïent désormais assurés du Succès de la cause soutenue par die tels hommes. |

R.-A, REISS