Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France

PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE 1 5

C’est à ces admirateurs de la Révolution qu'on peut appliquer ces paroles de Portalis : « Beaucoup d’historiens choisissent quelques faits exacts qu'ils isolent. Ils en font le squelette de l'histoire auquel ils font tout rapporter. Cet ensemble de faits vrais produit un ensemble absolument faux et qui est des plus funestes, parce qu'une fois entré dans l'esprit de tous il est presque impossible de le faire sortir. » Enfin, grâce à ce défaut de perspective et à cette absence de proportions, la plupart des détails, même les plus importants, ne furent pas approfondis, et l’on admit, pour presque tous, des versions erronées ou incomplètes.

Ii faut aussi insister sur cette considération : on a tort de juger les événements de l'Ancien Régime et ceux de la Révolution avec un esprit transformé par cette Révolution même: il est évident qu'en ne tenant pas compte des idées propres à l’époque qu’on étudie, on s'expose à des erreurs notables, et dans l'espèce, à des jugements trop défavorables à l'Ancien Régime.

On voudrait nous faire considérer chaque loi de notre ancienne législation comme si elle devait être appliquée seule, dans notre société actuelle, avec nos mœurs, nos usages, nos préjugés nouveaux. Pour avoir changé de formes et de places, les abus et les imperfections n’ont pas cessé d'exister, ils ne le peuvent pas : « chaque institution nouvelle ne finit-elle pas un abus ancien et n'en commence-t-elle pas un nouveau! ? »

Il convient encore de faire remarquer que l'esprit et les tendances de ceux qui appliquent les lois peuvent modifier, atténuer les mauvais effets d’une législation surannée, au point de supprimer dans la pratique toutes ces imperfections. Sous l'Ancien Régime, à cause même de la vêtusté de la législation, il y avait une différence considérable entre le texte de la loi et son application. Telle loi qui nous paraît aujourd’hui arbitraire, et qui l'aurait été si on l'avait brutalement appliquée, perdait, grâce aux tempéraments de la pratique, son caractère excessif. C’est à tort également qu’on nous présente comme ayant existé les abus qui auraient pu exister.

Quant aux hommes, on les a trop considérés au point de vue exclusif de l'influence qu’ils ont eue sur leur siècle et pas assez au point de vue, plus vrai, plus logique, de l'influence que leur siècle avait eue sur eux. Ainsi, bien des rois barbares furent moins cruels,

1. Portalis fils, Du devoir de l'historien.