Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France

PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I 7

matérielle qu’une telle organisation n’a pas existé, cela est difficile, précisement parce qu'elle n’a pas existé.

Il suffirait peut-être de faire remarquer en presence de quelle impossibilité matérielle on se trouve en supposant l'existence d’une compagnie assez riche pour acheter et revendre tous les blés consommés en France: à ne compter que les frais d'achats de grains, achats qu'il eût fallu régler de suite, cette compagnie aurait dû disposer de fonds assez considérables pour débourser, chaque année, environ 500 millions! ! Il faut ajouter à cette somme les frais d'installation de transport, de manutention, d'emmagasinage; c’est-à-dire entout, près d'un milliard et demi ! Était-ce possible ? Il suffit, pour se convaincre du contraire, de comparer ce chiffre énorme au budget de l'État. Ceux qui se sont occupés du Pacte de famine n’ont pas songé à faire ces calculs ou plutôt ont évité d’en parler.

Mais prenons la question telle qu’elle a été posée par les auteurs de la légende : beaucoup croient au Pacte de Famine et y croient parce qu’on a beaucoup répêté qu'il avait existé, justifiant ainsi les paroles de Napoléon : « La meilleure image de rhétorique est la répétition. » Son existence a été même rendue tellement probable, par l'audace de son révélateur, que personne jusqu'ici n’a songé à étudier le fait en détail, et l’on peut dire qu'il est considéré comme acquis, simplement parce qu'il n’a jamais été mis en doute. Celui qui l’a révélé et ceux qui par la suite se sont faits ses échos n’en ont jamais apporté d’autres preuves que leurs affirmations réitérées et ils ont étè crus cependant sans hésitation. On a répété, développé, amplifié les premières calomnies sans apporter de nouvelles preuves !

Louis XV était un mauvais roi, a-t-on dit; capable de spéculer sur les subsistances de son peuple et de provoquer la disette ; comme il y eut de nombreuses disettes sous son règne, il dut spéculer, doncil spécula. Or, commeilne pouvait le faire directement, il dut avoir des agents, une société de monopoleurs sous ses ordres.

Voilà, en résumé, le sophisme des historiens révolutionnaires. Qu’apportent-ils à l'appui de leur raisonnement ? La coïncidence d'une soi-disant révélation faite par un individu dont le cerveau était manifestement dérégle, à l’époque où il écrivit ses dénonciations, avec la découverte d’un contrat d'association conclu entre quatre marchands de blé, anciens fonctionnaires, contrat ne pou-

1. D’après Lavoisier, en 1789, la population de Paris (600,000 h.) consommait pour 20,600,000# de pain; soit, pour une population de 26 millions, 867 millions!