Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France

10 LE PACTE DE FAMINE

points les plus éloignés de la terre, et de porter facilement en moins d'un mois des États-Unis d'Amérique, de la mer Noire ou de la Baltique, tous les blés nécessaires à l'alimentation d’un département et même d’un État important pendant une année ‘. Par suite de la possibilité d’un pareil remède à la disette, le monopole se trouve entravé, et s'il existe encore sur certaines denrées, il n'existe plus pour les blès. Le plus souvent, du reste, l'équilibre s'établit sans effort, entre les diverses parties de la France plus ou moins favorisées.

Qu'un spéculateur accapare les blés d’une région, il se trouvera toujours un spéculateur plus avisé qui viendra rétablir l'équilibre en apportant sur les marchés la quantité de grains nécessaires à Palimentation publique et & pourra arriver à temps.

En pouvait-il être ainsi au XVIIIe siècle ? Qu'on se reporte par la pensée à la situation économique de la France d'alors; que l’on constate la difficulté des charroïis sur des routes naturellement moins nombreuses qu'aujourd'hui, plus difficiles à entretenir que nos routes actuelles, qui sont soulagées par les voies ferrées ; que lon substitue la lourde charrette, le transport sur les canaux ou sur bateaux à voiles à nos transports par chemins de fer ou bateaux à vapeur; que l’on supprime les dépêches télégraphiques et que l'on rétablisse les anciens courriers, l’on comprendra aisément combien était difficile le problème de l'alimentation d’un vaste pays et surtout d’une capitale populeuse?. Personne ne nie que la

1. Cest à tort que M. V. Modeste dit, op. cit., p. 76, qu’on retire aujourd’hui, ce qu’on ne faisait pas autrefois, des grains des États-Unis d'Amérique et de la Mer Noire. Les habitudes commerciales ont pau changé sous ce rapport.

2. Autrefois, pour qu'une commande de grains fût faite et répondue de Strasbourg à Nantes, ou de Lyon à Marseille, il fallait, suivant les progrès de l'administration des postes, 15 ou 18 jours, puis 40, puis 4. Pour transporter, d’un de ces points à l’autre, seulement un million d’hectolitres de blé, des mois étaient nécessaires, par suite de l'impossibilité de réunir à la fois assez d’équipages. Encore, courait-on le risque de se trouver, au milieu de l’opération, absolument hors d'état de poursuivre. Une route de terre est en effet complètement défoncée avant d’avoir transporté 500,000 hectolitres, ainsi qu’on en a eu malheureusement la preuve en 1847, par la route de Lyon à Marseille, devenue si impraticable sous les roues des transports de commerce et les prolonges de l’artillerie envoyée à son aide par le gouvernement. Aujourd’hui, avec le télégraphe électrique, une commande de Nantes à Strasbourg est faite et répondue en 3 heures. En 36 heures, on mènera, s’il le faut, d’un de ces points à l’autre, un million, deux millions d’hectolitres de grains, et cela sans que l’invincible voie de fer soit d’un degré moins ferme, ou d’une heure moins prompte pour de subséquents arrivages... On va de Paris ou de Londres à Berlin en 43 heures, de Berlin à Vienne en 31 heures, de Berlin à Varsovie en 30 heures ;