Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France

PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV 29

Michelet — malgre la facilité avec laquelle il accepte les renseigements les moins autorisés, lorsqu'il s’agit de flétrir l'Ancien Régime — n’a pas pu trouver le moindre document pour prouver que Louis XV ait eu « l’idée, le plan arrête d’affamer le peuple et de l'armer contre lui ; » pourtant il ne peut abandonner complétement l'accusation de spéculation sur les grains ; il nous apprend « que ce roi était marchand, qu'il avait intérêt (avec Bouret et autres) dans le trafic des blés, et que, comme tout marchand, il aimait à vendre cher ‘. » Michelet a bien soin de ne pas dire où il a puisé ce renseignement, et pour cause, mais il faut avouer qu'il a joué de malheur en nous donnant le nom de l'associé de Louis XV.

Nous arrivons ainsi à l’époque où les questions d'alimentation publique occupaient tous les esprits : « Vers l’an 1750, la nation, rassasiée de vers, de tragédies, de comédies, d’opéras, de romans, d'histoires romanesques, de réflexions morales plus romanesques encore, et de disputes théologiques sur la grâce et sur les convulsions, se mit enfin à raisonner sur les blés. — On oublia même les vignes pour ne parler que de froment ou de seigle. On écrivit des choses utiles sur l’agriculture : tout le monde les lut, excepté les laboureurs. On supposa, au sortir de l'Opéra-comique, que la France avait prodigieusement de blé à vendre. Enfin, le cri de la nation obtint du gouvernement, en 1764, la liberté de l’exportation... On exporta beaucoup, on exporta trop. Comme le remède avait été déclaré excellent contre la disette, lorsque la disette arriva, elle produisit toujours quelques séditions. On accusa le ministère et les monopoleurs, plutôt que la sécheresse, la pluie ou l'excès d’exportation ; un revirement se produisit dans l'opinion publique, quelques plaignans passèrent d'une calamité à l’autre. Ils éclatèrent contre l'exportation qu'ils avaient demandée : ce qui fait voir combien il est difficile de contenter tout le monde et son père. Des gens de beaucoup d'esprit et d’une bonne volonté sans intérêt, avaient écrit avec autant de sagacité que de courage en faveur de la liberté illimitée du commerce de grains. Des gens qui avaient autant d’esprit et des vues aussi pures, écrivirent dans l’idée de limiter cette liberte; et M. l'abbé Gagliani, Napolitain, réjouit la nation française sur l'exportation des blés ; il trouva le secret de faire, même en français, des dialogues aussi amusans que nos meilleurs romans, et aussi instructifs que nos meilleurs livres sérieux. Si cet ouvrage

1. Michelet, Louis XV, 352.