Les derniers jours d'André Chénier

294 LES DERNIERS JOURS D'ANDRÉ CHÉNIER

1 tenant aujourd'hui à M. de Mandrot, cette effigie nous révèle une jolie fraîcheur de carnation, des lèvres généreuses, promptes à plaisanter, un regard vif, des yeux pleins de malice et d’audace, moqueurs avec un peu d’effronterie, une absence totale de timidité, — en somme une riche nature, façonnée pour le plaisir par la philosophie de ce temps-là, qui était, comme on sait, plus proche du sensualisme rationnel que de l’idéalisme sentimental. Mme Vigée-Lebrun la décrit d’une plume soigneuse, qui égale, sinon le charme, du moins l’indulgence d’un pinceau souvent consacré à la célébration des dernières grâces d’une société qui finissait : « La nature semblait s'être plu à la combler de tous ses dons. Son visage était enchanteur, son regard brû- lant, sa taille celle qu’on donne à Vénus... Le goût et l'esprit de la duchesse de Fleury brillaient par-dessus tout ». On comprend que Chénier lui ait dédié ces vers délicieux. Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux;

Sur des fronts abattus mon aspect en ces lieux Ranime presque la joie.

Boute-en-train de la prison, elle a dû ranimer un dernier sourire sur les lèvres du poète déjà meurtri par le pressentiment de sa mort prochaine. Mais il est impossible qu’André, si grave, si noble, si épris de pureté morale et, par surcroît, purifié par l'épreuve, n'ait pas remarqué et franchement déploré, dans les exubérances de cette jeune divorcée, les défauts, les péchés, l’invraisemblable désordre d’une société qu'il aurait voulu sauver, et qui mourait d’incurable frivolité. Toute la jeunesse pensivede ce temps-là partageait les regrets et les indignations d'André. Un jeune Breton, très sérieux et même un peu farouche, qui, au mois de février 1787, vint à Paris du fond de sa province na-