Les derniers jours d'André Chénier

LES DERNIERS JOURS D'ANDRÉ CHÉNIER 308

La vérité se tait! Dans sa bouche glacée,

Des liens de la peur sa langue embarrassée

Dérobe un juste hommage aux exploits glorieux!

Vivre est-il donc si doux ? De quel prix est la vie, Quand, sous le joug honteux, la pensée asservie Tremblante, au fond du cœur se cache à tous les yeux?

Il n'avait jamais sacrifié sur «les Autels de la Peur ». La peur, il la voyait partout, dans les réticences des politiciens qu'implorait son père, dans certaines absences où il pouvait soupçonner des défections.

Peut-être en de plus heureux temps

J'ai moi-même à l’aspect des pleurs de l’infortune Détourné mes regards distraits:

À mon tour aujourd'hui mon malheur importune, Vivez amis, vivez en paix!

La justice politique n’a rien de commun avec la justice naturelle ou légale. Une première « fournée », le 6 thermidor, commença de vider la prison de SaintLazare. André fut de ladeuxième. Sa condamnation fut un des derniers actes du tribunal révolutionnaire. Ce fut la plus tragique et la plus irréparable sottise de cet aréopage absurde et sinistre. Quel procès! Quelles heures passa, sur les gradins de la salle, salle de la liberté, cet homme de génie, livré aux bêtes. Que répondre au président, à ce Coffinhal, qui avait condamné, dans la personne de Lavoisier, la science? La poésie, même dans la personne du grand poète d'ÆZermès et de l'Aymne à la France, ne pouvait pas se défendre. Que répondre à des juges quiconfondaient André Chénier avec un de ses frères, le qualifiaient d'adjudant général et de chef de brigade sous Dumouriez, lui reprochaient d’ « avoir porté le trouble dans la commune de Breteuil, département de la Somme », et l'accusaient d’avoir « parucipé à tous les crimes commis par le tyran, sa femme et sa famille », et enfin d'avoir « discrédité les assignats? »