Les derniers jours d'André Chénier
/ LES DERNIERS JOURS D'ANDRÉ CHÉNIER 207
au milieu des jardins, des vergers, des berceaux et des présents de la nature... Les guichetiers y sont polis, ils parlent une langue intelligible; et, quand on est transféré de la Conciergerie, de Pélagie, de Madelonnettes ou de la Force, on serait tenté de les prendre pour des académies... »
Il y a bien de l’exagération dans cette singulière peinture. Quoi qu’il en soit, André retrouva dans sa prison quelques-uns de ses plus chers amis, les frères Trudaine, son ancien colonel du régiment d'Angoumois, le marquis d'Usson, la marquise de Saint-Aignan, le duc de Noaïlles, MM. de Montalembert et de Montmorency, les princes de Rohan et de Broglie, le comte de Vergennes, le doux poète Roucher, paisible bourgeois, homme d'intérieur et de foyer, qui pleurait sur son bonheur perdu et passait son temps à écrire à sa fille des lettres navrantes qui nous prouvent que, dans les temps de révolution, la douceur, l’extrème modestie, l'effacement volontaire ne sont point des moyens de salut.
De même que le peintre Suvée, détenu lui aussi à Saint-Lazare, faisait, pour se désennuyer, le portrait de ses compagnons d'infortune, André fit des vers sur les sujets qui se présentaient à ses yeux. Il écrivit les stances de la Yeune Capiive.
L'épi naissant mûrit, de la faulx respecté;
Sans crainte du pressoir, le pampre tout l’été Boit les doux présents de l’aurore;
Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,
Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui, Je ne veux pas mourir encore!
Appeler simplement érouble et ennui le cauchemar de l'échafaud, la hantise des charrettes de FouquierTinville, l’obsession de la Terreur et les grossièretés des sans-culottes, quelle façon polie, académique, de