Les impressions du comte de Las Cases sur l'Empire français en 1812

6 LES IMPRESSIONS DU COMTE DE LAS CASES [355]

peuple des montagnes est « extrêmement laborieux » etse suffit. L’Ardèche n’a pas de mendiants. L’émioration temporaire trouve du travail dans les plaines et rapporte quelque aisance au pays : quatre mille paysans de la Haute-Loire vont faire la moisson dans les pays voisins, où elle est plus précoce, puis reviennent faire la leur; — dans le Puy-de-Dôme, dix-huit ou vingt mille montagnards vont travailler l'hiver dans les villes, et rapportent chez eux par an près de 200.000 francs (250.000 dans le Cantal); cette émigration hivernale fait monter dans les campagnes le prix dela main-d'œuvre; de quinze sous lété, il s'élève à trente l'hiver. Huit mille maçons quittent chaque année la Haute-Vienne pendant quelques mois, et rapportent un million de francs en salaires.

À côté de ces pays naturellement pauvres, Las Cases admire les riches récoltes de la plaine de la Garonne. Et la même différence le frappe de la Bretagne à la Normandie. Dans la Bretagne elle-même, d'agriculture routinière, et riche en mendiants (30.000 dans le Finistère pour un total de 420 où 430.000 habitants), le littoral du nord a seul une culture soignée et productive, surtout le Trésorrois, enrichi par la production et le travail du lin et du chanvre.

Les différences de prospérité ne paraissent pas avoir de bien sensibles répercussions sur le prix de la main-d'œuvre ; la journée de travail agricole, dans l’Allier, la Nièvre ou l'Oise, semble se maintenir autour de vingt-cinq sous. Dans l'Oise, Las Cases constate que l’ouvrier est moins payé que le journalier agricole : quinze à vingt sous pour le fileur de laine ou de fil.

Le nombre plus ou moins grand de mendiants ne peut pas davantage servir de critérium ; des pays pauvres comme l’Ardèche ou très peuplés comme l’Escaut, n’ont pas de mendiants grâce au caractère laborieux de leurs habitants. Dans certains centres (Niort, Guingamp), la bonne organisation de la bienfaisance fait disparaître la mendicité. Au contraire, certains pays riches offrent le scandale de la mendicité née de la paresse : les départements belges et normands, le Poitou, sont dans ce cas. A Rouen, l’industrie manque de bras « ce qui fait la condamnation de ses mendiants, lesquels sont en grand nombre. » L’Orne a 15.000 à 20.000 mendiants sur 400.000 habitants. Dans l'Oise, le travail ne manque pas, mais « la population n’y est pas complètement laborieuse et dépense trop facilement le peu qu’elle gagne... Les ouvriers célèbrent au cabaret les fêtes que l’on a supprimées. » Nous retrouvons là l’influence de la générosité aumonière des communautés d'avant 89. Poitiers « avait vingt-deux communautés religieuses, ce qui explique le peu d’aptitude au travail qu’a la classe indigente et son peu d’industrie. » Mais la Flandre