Les impressions du comte de Las Cases sur l'Empire français en 1812

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souffrances, les unes accidentelles, les autres tenant au système politique; les unes affectant tout l’Empire, les autres frappant particulièrement telles ou telles régions.

La famine de 1811-1812 a sévi partout; de deux sous la livre, le pain est monté jusqu'à douze sous en plusieurs régions, spécialement en Belgique. Au moment de la tournée de Las Cases, il est retombe à septsous, chiffre qu’il n'a jamais dépassé dans quelques départements (notamment dans l'Ariège). Les régions voisines de Paris ont surtout souffert, les agents de la capitale achetant les blés à tout prix. Par suite, le nombre des mendiants a parfois doublé : dans le Finistère, de 30.000 à 60.000.

La famine a sévi partout; la guërre éprouve surtout les régions maritimes, écrasées par la supériorité des flottes anglaises. Sur les côtes de Bretagne « le commerce a radicalement disparu », parce que « la plupart des chefs de famille de la classe du peuple se trouvent depuis longtemps prisonniers en Angleterre. » La misère y est extrême. Les statistiques prouvent une décadence générale de la marine ; de 1810 à 1812, le nombre des bâtiments employés à la course est tombé de 195 à 93, le nombre de leurs marins de 9923 à 48s2; pour la navigation à long cours etle grand cabotage, les bâtiments ont passé de 343 à 179, les marins de 3.538 à 1,925 ; — les bâtiments de grande pêche de 86 166, et leurs marins de 954 à 675. Malgré l’emploi que les uns et les autres trouvent dans le petit cabotage, la pêche côtière, la navigation intérieure, la diminution totale est de 1.686 bâtiments et de 2.158 marins.

Mais le fléau frappe surtout le Midi : Bordeaux est tombé de 120.000 habitants à 70.000. Montauban souffre : ses fabriques travaillaient pour l’Espagne, le Levant, les colonies : ces débotichés sont fermés. À Marseille, « plus de commerce, plus de manufactures, plus de fabriques ; les maisons y sont désertes, les vaisseaux désarmés, et le port sans activité. » La population, de 130.000 habitants, est tombée à 70.000 2. Las Cases penseau reste que les Marseillais, en déployant plus d’activité, en sachant « se retourner» pouvaient éviter cette misère. L'exemple de Rouen est là. « Rouen tire ses matières premières principalement du Levant et de l'Italie, et, comme il vend avec avantage ses objets manufacturés à l'Italie, il demeure bien prouvé que Marseille, qui eût été mieux placé que lui, aurait pu obtenir au moins les mêmes avantoeges ; il ne lui a manqué que les mêmes idées, la même industrie, et la même volonté

1. Dès 1827, la population remontait à 92.000, 2. 109:000 en 1821,