Les philosophes et la séparation de l'église et de l'état en France à la fin du XVIIIe siécle

40 ALBERT MATHIEZ.

champenoïs, Elle ne risquait pas de conduire le siècle à la séparation de l'Église et de l'État.

M. Aulard s'est plu à opposer le prétendu christianisme de J.-J. Rousseau au déisme de Voltaire’. Il ne voit Rousseau qu'à travers Robespierre, son élève, et il déteste Robespierre. L'opposition est factice. Entre les idées religieuses de Voltaire et celles de Rousseau, la différence n'est pas dans le fond, mais dans la forme, dans l'accent : Voltaire plus froid, plus utilitaire, Rousseau plus vibrant, plus sentimental, moins préoccupé de l'utilité sociale que du progrès moral de l'individu. J'ai beau relire la célèbre profession de foi du vicaire savoyard, je n’y trouve rien de spécifiquement chrétien. C'est d’ailleurs dans le non moins célèbre chapitre du Contrat social sur la religion civile qu'il faut aller chercher la pensée véritable de Rousseau et sa théorie des rapports de l' Église et de l'État.

Rousseau conçoit l'État comme une personne morale, comme une sorte de Providence. Le contrat qui lui donne l'existence est saint. Saint, cela ne veut pas dire seulement obligatoire et impératif, mais digne d'un respect religieux comme une chose de nature à faire le bien de l'humanité.

Personne morale, l'État a des devoirs moraux à remplir. Le premier de ses devoirs est justement de préparer le bonheur de ses membres, le bonheur dans tous les sens du terme. La fin de l'État, c'est le bien commun. L'État est matière et instrument de bonheur comme la Religion. Son contrat constitutif est saint par définition, car si ce contrat n'était pas saint, c'est-à-dire conforme à la loi morale, expression définitive du bonheur commun, il ne pourrait pas donner naissance à un État véritable, à un État légitime, à une personne morale.

Comment l'État remplira-t-il sa mission morale et providentielle? Par la loi. La loi est le moyen par lequel l État poursuit sa fin, qui est le bonheur commun. La loi est par définition l’expression de la volonté générale, qui est elle-même identique à l'intérêt général. Les hommes, étant corrompus, sont incapables de comprendre leur véritable intérêt et, par suite, d’avoir une volonté générale conforme au bien commun, par suite encore de faire eux-mêmes la loi. On aura donc recours à des hommes êlevés par leur intelligence et leur moralité au-dessus de l’huma-

1. A. Aulard, Le culte de la Raison, 1892, p. 257 et passim.