Lettres inédites de Frédéric Gentz à sir Francis d'Ivernois (1798-1803)

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êtes trompé; vous avez manqué votre but, et vous m'avez exposé par-dessus le marché à beaucoup de tracasseries. D'abord les lois de la censure sont tellement rigoureuses dans ce pays-ci, que personne ne peut recevoir un ouvrage quelconque venant d’un pays étranger, sans permission spéciale. Il est vrai que par une des conditions sous lesquelles j'ai consenti à m'’établir à Vienne !, je suis absolument libre de ces entraves ; mais celte exemption ne regarde que moi-seul, et elle est interprétée avec tant de rigueur que, lorsqu'il arrive seulement qu’on m’envoie (par la poste) deux exemplaires du même livre, je suis sûr qu’on en retient un. Ainsi lorsque vos six exemplaires sont arrivés, on m’en a tout de suite envoyé un ; on n’osait pas le retenir, parce que j'ai un billet signé de l'Empereur qui me rend plus fort que la censure ; mais les cinq autres ont été arrêtés; j'ai été obligé de partir avant d’avoir pu les arracher à la commission ; j'en ai parlé à Mr. de Cobentzl dans toutes les lettres que je lui ai écrites pendant une absence . de deux mois que j’ai faite; je suis retourné à Vienne le dernier du mois d’août, et mon affaire n'était avancée de rien. Enfin j'en ai parlé à Mr. de Cobentzl; je lui ai exposé ce que c'était que votre ouvrage; j'ai excité sa curiosité au point qu'il m'a prié de le lui prêter, mais en particulier seulement, comme à un ami, non pas comme au Vice-Chancelier ; et — pour tout dire — i{ n’a pas eu le courage de réclamer les exemplaires qu'on m'a retenus, PARCE QUE C'EST UN LIVRE ÉCRIT CONTRE Bonaparte. — Je suis entré dans ces détails pour que vous sachiez une fois pour toutes ce que c’est que la cour de Vienne : je ne veux pas que notre honte soit proclamée sur les toits ; je ne vous dis tout cela que dans la confiance de l’amitié, mais il est bon que vous l’appreniez, parce que je vois que vous partagez jusqu’à un certain point avec les Anglais les fausses idées

r. Le 21 juin 1802 Gentz avait quitté la Prusse, se rendant à Dresde, où il était entré en relations avec Melternich. Fin juillet de la mème année il arrive à Vienne. Le 6 septembre, il est nommé Conseiller aulique, avec un traitement de 4.000 florins. Peu après il fait un voyage d'études en Angleterre, puis revient à Vienne.