Lettres inédites de Frédéric Gentz à sir Francis d'Ivernois (1798-1803)
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dans cette classe — je le dis avec douleur, mais vous en croirez un homme qui a eu l’occasion d'étudier ses compatriotes dans tous les rangs, — presque tous nos grands fonctionnaires publics, les ministres d’État et les conseillers supérieurs des départements des Finances, de la Justice, de la Guerre, de tous ceux en un mot, qui ne sont pas obligés de s'occuper immédiatement de la politique; il faut y mettre ensuite une majorité immense de notre noblesse, et à peu près tous les généraux et officiers de l’armée. En voilà pour la première classe et la plus nombreuse. L’autre, qui se compose du petit nombre d'hommes qui lisent, qui pensent, qui suivent les événements, est encore divisée très inégalement. La majorité la plus décidée de cette classe tient aux principes révolutionnaires. Malheureusement presque tous les hommes de lettres sont attaqués de cette maladie ; elle est même très naturelle dans un pays, où la philosophie purement spéculative a fait des progrès vraiment admirables (progrès dont les étrangers de tous les pays ne se doutent guère) et où en même temps la connaissance pratique des hommes, et surtout la science des gouvernements a été prodigieusement négligée. Vous pouvez toujours compter de trouver parmi dix hommes de lettres en Allemagne, neuf révolutionnaires ; et parmi ces derniers quatre ou cinq révolutionnaires enragés. Vous ne sauriez croire, Monsieur, dans quelle position étrange, et quelquefois très critique, cet état des choses me jetle moi-même. Comme ceux qui sont (ou qui doivent du moins être) dans les bons principes, ne savent rien, ne lisent rien, ne s’inquiètent de rien, et comme ceux qui prennent quelque part aux événements sont presque tous d’un système bien opposé au mien, je suis ici, pour ainsi dire, seul de mon parti; et il manque très peu que je ne me trouvasse réduit à mes méditations solitaires, aux livres, et aux gazettes.
J’attends, en tremblant, l'issue des préparatifs pour la descente en Angleterre. C’est là le dernier coup, celui qui décidera du sort de la société civilisée. Si ce coup manque, je crois qu’il en résultera trois effets bien précieux : 1° que la stabilité