Orateurs et tribuns 1789-1794

L'ESPRIT DES ORATEURS DE LA CONSTITUANTE. 3

ficiers de son régiment: ce qu'ils m'ont dit de sa paresse, de son insouciance, de son amour de la dissipation et des plaisirs, est inimaginable. On ne croit pas que cet homme ait eu la patience de lire un livre entier dans sa vie. Mais il n'a rien oublié de ce qu'il a lu : ce que les autres ont appris, il le devine. » En réalité, le capitaine des dragons du régiment de Jarnac se comporta comme tant d'hommes éminents qui dérobent volontiers au public le secret de leurs travaux, afin de donner à leur talent le prestige de la spontanéité : il consacrait ses journées au plaisir, aux exercices militaires, il passait les nuits à combler les lacunes de son éducation par la lecture attentive des meilleurs écrivains, Montesquieu par exemple, son auteur de chevet; avec cela une mémoire prodigieuse, un jugement sain, le don de l’observation, un cerveau où les principes et les conséquences se classaient, s’enchaînaient dans un ordre parfait.

Il y a chez cet avocat de la royauté des traits d'un apôtre populaire, d’un Savonarole : dans la rue, sur les places publiques, il cause familièrement avec les gens du peuple, se met à leur portée, leur répond aussi sérieusement que s'ils étaient des hommes d'Etat. Un jour on s’avisa de l’insulter aux Tuileries : « Prenez garde, dit-il, quand je ne serai plus député, vous ferez de moi ce que vous voudrez; je serai alors comme tel d'entre vous, un pauvre bougre; mais aujourd’hui, comme député, je suis l'homme de la nation, je lui