Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits

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tiaire du roi Frédéric-Guillaume IV près la Diète de Francfort. Pour sa part, il était loin alors de redouter une alliance de la France avec la Russie. A l’en croire, il l’appelait même de ses vœux, à la condition pour la Prusse « de sauter dedans à pieds joints (1) ».

Depuis, le prince de Bismarck, chancelier de l'empire d’Allemagne a modifié sinon ses opinions, du moins ses désirs et son langage. Son ambition ne consiste plus à se mettre en fiers avec la Russie et la France. De son propre aveu sa politique tend désormais à isoler la France, à la rendre irapte à contracter des alliances (2). Cette union franco-russe qu’il trouvait naguère si naturelle et si conforme aux intérêts comme aux sentiments des deux pays, aujourdhui il la proclame monstrueuse, impossible, au plus haut point dangereuse pour la paix et le repos de l’Europe. France et Russie ont le plus grand intérêt à élucider et à résoudre cette question qui est d’une haute importance, non seulement pour leur propre avenir, mais encore pour celui de l'humanité entière. S'il est clair, d’un côté, qu'elles n’ont pour ainsi dire qu'à se tendre la main pour tenir en échec les États du centre de l'Europe et gêner l’omnipotence maritime de l’Angleterre; s'il n'est pas moins certain qu'une union permanente entre elles leur assurerait à toutes deux la meilleure garantie de sécurité et d’indépendance, de l'autre côté on chercherait en vain pour leur alliance un précédent dans le passé. N'est-ce pas en effet un spectacle étrange et fait pour confondre l'intelligence que celui de ces deux nations si bien faites pour s'entendre, qui n’ont rien à s’envier ou à se disputer, dont les intérêts ne s’entre-croisent ni ne s’entre-choquent nulle part, qui,de plus,professent l’une pour l’autre autant d’estime que de sympathie, et qui, malgré tout cela, se sont pendant plus de deux siècles acharnées à se faire le plus de mal possible, tantôt en se combattant en lutte ouverte les armes à la main, tantôt en cherchant à se nuire par la voie d’intrigues diplomatiques, à la plus grande joie comme au plus grand avantage d’adversaires communs? On ne peut nier que cet état de choses en se perpétuant n'ait acquis les apparences d’une tradition historique contre-balançant les lecons cruelles de l'expérience, les préceptes de la logique et jusqu’à l'intuition du sen-

(1) Le même au même, le 13 février 1853 (1bid., p. 330). (2) Le prince de Bismarck au comte d'Arnim, le 20 décembre 1872.