Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits

PAUL ET BONAPARTE. 633

timent patriotique que nous entendons se prononcer dans les deux pays avec autant d'énergie que d’unanimité.

À première vue, l’histoire semble ainsi donner raison aux antagonistes de l'idée d'alliance entre les « deux plus puissantes nations du monde ». Telle est au moins la thèse développée dans les œuvres d’une nuée d'écrivains allemands qui dans ces derniers temps se sontemparés desrapports politiques des États de l’Europe depuis la Révolution pour en faire le sujet de savants et volumineux écrits (1). Mais quel que soit mon respect pour les éminents représentants de l’école historique moderne en Allemagne, pour la précision de leur méthode et l'étendue de leur érudition, je me permettrai de contester le droit de connaître sans appel des questions se rattachant à l’histoire de la Russie ou de la France, Sans peut-être s’en rendre compte, les historiens allemands sont presque tous des politiciens militants, et la preuve en est qu'il existe parm eux des scissions profondes sur plus d’un sujet de leur propre histoire nationale. Rien ne peut se comparer par exemple à la violence de leur polémique sur la question de savoir à qui, de l'Autriche ou de la Prusse, revient la part principale de responsabilité pour les désastres subis par l’ancien empire germanique dans sa lutte contre les républicains français (2). A plus forte raison lPimpartialité leur fait-elle absolument défaut quand ils sont appelés à se prononcer sur le rôle historique de tel pays qui avait vaincu le leur ou de tel autre à qui l'Allemagne est redevable de sa liberté et de son talent. J'en conclus qu'en histoire comme en politique, Russes et Français feront bien de se passer d’intermédiaires, de courtiers dont le désintéressement restera toujours douteux, malgré l’étalage qu’ils aiment à faire de leur Aonnéteté.

De là résulte la nécessité pour nous de remonter aux sources mêmes de l'histoire, de compulser et d'étudier Les textes des documents originaux. Pour peu qu'on s'en donne la peine, on sera surpris de voir se dissiper quantité de légendes accréditées, de fables convenues, et la grande question des rapports de la France et de la Russie apparaître sous un aspect nouveau et inattendu.

(1) En 1853, Sybel commenca la publication de son Histoire de l'époque de la Révolution, et, l’année suivante, Häusser celle de l'Histoire de l'Allemagne depuis la mort de Frédéric le Grand jusqu’à la fondation de la Confédération germanique. Depuis, se sont essayés sur le même sujet Hütffer, Treitschere, Oncker et l'illustre Ranke lui-même. Des recueils volumineux de documents sur la même époque ont été publiés par Arnetti, Vivenot, Rur et Zeïzberg en Autriche, Baillen en Prusse.

(2) Sybel se prononce pour la Prusse, Vivenot en faveur de l'Autriche. Le premier est soutenu par Ranke, le second par Hüffer.

TOME XLVII. 41